LE SANCTUAIRE.....NET....

Accueil du site
Retour Accueil
Haut de la page
';
Retour à la page précédente
Quels sont les arguments opposés au Spiritisme

Extraits du Livre des Esprits d'Allan Kardec (Introduction - & III)

La doctrine spirite, comme toute chose nouvelle, a ses adeptes et ses contradicteurs. Nous allons essayer de répondre à quelques-unes des objections de ces derniers, en examinant la valeur des motifs sur lesquels ils s'appuient sans avoir toutefois la prétention de convaincre tout le monde, car il est des gens qui croient que la lumière a été faite pour eux seuls. Nous nous adressons aux personnes de bonne foi, sans idées préconçues ou arrêtées quand même, mais sincèrement désireuses de s'instruire, et nous leur démontrerons que la plupart des objections que l'on oppose à la doctrine proviennent d'une observation incomplète des faits et d'un jugement porté avec trop de légèreté et de précipitation.

Rappelons d'abord en peu de mots la série progressive des phénomènes qui ont donné naissance à cette doctrine.

Le premier fait observé a été celui d'objets divers mis en mouvement ; on l'a désigné vulgairement sous le nom de tables tournantes ou danse des tables. Ce phénomène, qui paraît avoir été observé d'abord en Amérique, ou plutôt qui s'est renouvelé dans cette contrée, car l'histoire prouve qu'il remonte à la plus haute antiquité, s'est produit accompagné de circonstances étranges, telles que bruits insolites, coups frappés sans cause ostensible connue. De là, il s'est rapidement propagé en Europe et dans les autres parties du monde ; il a d'abord soulevé beaucoup d'incrédulité, mais la multiplicité des expériences n'a bientôt plus permis de douter de la réalité.

Si ce phénomène eût été borné au mouvement des objets matériels, il pourrait s'expliquer par une cause purement physique. Nous sommes loin de connaître tous les agents occultes de la nature, ni toutes les propriétés de ceux que nous connaissons ; l'électricité, d'ailleurs, multiplie chaque jour à l'infini les ressources qu'elle procure à l'homme, et semble devoir éclairer la science d'une lumière nouvelle. Il n'y avait donc rien d'impossible à ce que l'électricité, modifiée par certaines circonstances, ou tout autre agent inconnu, fût la cause de ce mouvement. La réunion de plusieurs personnes augmentant la puissance d'action semblait appuyer cette théorie, car on pouvait considérer cet ensemble comme une pile multiple dont la puissance est en raison du nombre des éléments.

Le mouvement circulaire n'avait rien d'extraordinaire : il est dans la nature ; tous les astres se meuvent circulairement ; nous pourrions donc avoir en petit un reflet du mouvement général de l'univers, ou, pour mieux dire, une cause jusqu'alors inconnue pouvait produire accidentellement pour les petits objets et dans des circonstances données un courant analogue à celui qui entraîne les mondes.

Mais le mouvement n'était pas toujours circulaire ; il était souvent saccadé, désordonné, l'objet violemment secoué, renversé, emporté dans une direction quelconque, et, contrairement à toutes les lois de la statique, soulevé de terre et maintenu dans l'espace. Rien encore dans ces faits qui ne puisse s'expliquer par la puissance d'un agent physique invisible. Ne voyons-nous pas l'électricité renverser les édifices, déraciner les arbres, lancer au loin les corps les plus lourds, les attirer ou les repousser ?

Les bruits insolites, les coups frappés, en supposant qu'ils ne fussent pas un des effets ordinaires de la dilatation du bois ou de toute autre cause accidentelle, pouvaient encore très bien être produits par l'accumulation du fluide occulte ; l'électricité ne produit-elle pas les bruits les plus violents ?

Jusque-là, comme on le voit, tout peut rentrer dans le domaine des faits purement physiques et physiologiques. Sans sortir de ce cercle d'idées, il y avait là la matière d'études sérieuses et dignes de fixer l'attention des savants. Pourquoi n'en a-t-il pas été ainsi ? Il est pénible de le dire, mais cela tient à des causes qui prouvent entre mille faits semblables la légèreté de l'esprit humain. D'abord la vulgarité de l'objet principal qui a servi de base aux premières expérimentations n'y est peut-être pas étrangère. Quelle influence un mot n'a-t-il pas souvent eue sur les choses les plus graves ! Sans considérer que le mouvement pouvait être imprimé à un objet quelconque, l'idée des tables a prévalu, sans doute parce que c'était l'objet le plus commode et qu'on s'assied plus naturellement autour d'une table qu'autour de tout autre meuble. Or, les hommes supérieurs sont quelquefois si puérils qu'il n'y aurait rien d'impossible à ce que certains esprits d'élite aient cru au-dessous d'eux de s'occuper de ce que l'on était convenu d'appeler la danse des tables. Il est même probable que, si le phénomène observé par Galvani l'eût été par des hommes vulgaires et fût resté caractérisé par un nom burlesque, il serait encore relégué à coté de la baguette divinatoire. Quel est, en effet, le savant qui n'aurait pas cru déroger en s'occupant de la danse des grenouilles ?

Quelques-uns cependant, assez modestes pour convenir que la nature pourrait bien n'avoir pas dit son dernier mot pour eux, ont voulu voir, pour l'acquit de leur conscience ; mais il est arrivé que le phénomène n'a pas toujours répondu à leur attente, et de ce qu'il ne s'était pas constamment produit à leur volonté, et selon leur mode d'expérimentation, ils ont conclu à la négative ; malgré leur arrêt, les tables, puisque tables il y a, continuent à tourner, et nous pouvons dire avec Galilée : et pourtant elles se meuvent ! Nous dirons plus : c'est que les faits se sont tellement multipliés qu'ils ont aujourd'hui droit de cité, et qu'il ne s'agit plus que d'en trouver une explication rationnelle. Peut-on induire quelque chose contre la réalité du phénomène de ce qu'il ne se produit pas d'une manière toujours identique selon la volonté et les exigences de l'observateur ? Est-ce que les phénomènes d'électricité et de chimie ne sont pas subordonnés à certaines conditions et doit-on les nier parce qu'ils ne se produisent pas en dehors de ces conditions ? Y a-t-il donc rien d'étonnant que le phénomène du mouvement des objets par le fluide humain ait aussi ses conditions d'être et cesse de se produire lorsque l'observateur, se plaçant à son propre point de vue, prétend le faire marcher au gré de son caprice, ou l'assujettir aux lois des phénomènes connus, sans considérer que pour des faits nouveaux, il peut et doit y avoir des lois nouvelles ? Or, pour connaître ces lois, il faut étudier les circonstances dans lesquelles les faits se produisent et cette étude ne peut être que le fruit d'une observation soutenue, attentive et souvent fort longue.

Mais, objectent certaines personnes, il y a souvent supercherie évidente. Nous leur demanderons d'abord si elles sont bien certaines qu'il y ait supercherie, et si elles n'ont pas pris pour telle des effets dont elles ne pouvaient se rendre compte, à peu près comme ce paysan qui prenait un savant professeur de physique faisant des expériences, pour un adroit escamoteur. En supposant même que cela ait pu avoir lieu quelquefois, serait-ce une raison pour nier le fait ? Faut-il nier la physique parce qu'il y a des prestidigitateurs qui se décorent du titre de physiciens ? Il faut d'ailleurs tenir compte du caractère des personnes et de l'intérêt qu'elles pourraient avoir à tromper. Ce serait donc une plaisanterie ? On peut bien s'amuser un instant mais une plaisanterie indéfiniment prolongée serait aussi fastidieuse pour le mystificateur que pour le mystifié. Il y aurait, au reste, dans une mystification qui se propage d'un bout du monde à l'autre, et parmi les personnes les plus graves, les plus honorables et les plus éclairées, quelque chose d'au moins aussi extraordinaire que le phénomène lui-même. () Pour beaucoup de gens, l'opposition des corps savants est, sinon une preuve, du moins une forte présomption contraire. Nous ne sommes pas de ceux qui crient haro sur les savants, car nous ne voulons pas faire dire de nous que nous donnons le coup de pied de l'âne ; nous les tenons, au contraire, en grande estime, et nous serions fort honoré de compter parmi eux ; mais leur opinion ne saurait être en toutes un jugement irrévocable.

Dès que la science sort de l'observation matérielle des faits, qu'il s'agit d'apprécier et d'expliquer ces faits, le champ est ouvert aux conjectures ; chacun apporte son petit système qu'il veut faire prévaloir et soutient avec acharnement. Ne voyons-nous pas tous les jours les opinions les plus divergentes tour à tour préconisées et rejetées, tantôt repoussées comme erreurs absurdes, puis proclamées comme vérités incontestables ? Les faits, voilà le véritable critérium de nos jugements, l'argument sans réplique ; en l'absence de faits, le doute est l'opinion du sage.

Pour les choses de notoriété, l'opinion des savants fait foi à juste titre, parce qu'ils savent plus et mieux que vulgaire ; mais en fait de principes nouveaux, de choses inconnues, leur manière de voir n'est toujours qu'hypothétique, parce qu'ils ne sont pas plus que d'autres exempts de préjugés ; je dirai même que le savant a peut-être plus de préjugés qu'un autre, parce qu'une propension naturelle le porte à tout subordonner au point de vue qu'il a approfondi : le mathématicien ne voit de preuve que dans une démonstration algébrique, le chimiste rapporte tout à l'action des éléments, etc.. Tout homme qui s'est fait une spécialité y cramponne toutes ses idées ; sortez-le de là, souvent il déraisonne, parce qu'il veut tout soumettre au même creuset ; c'est une conséquence de la faiblesse humaine. Je consulterai donc volontiers et en toute confiance un chimiste sur une question d'analyse, un physicien sur la puissance électrique, un mécanicien sur une force motrice ; mais ils me permettront, et sans que cela porte atteinte à l'estime que commande leur savoir spécial, de ne pas tenir le même compte de leur opinion négative en fait de spiritisme, pas plus que du jugement d'un architecte sur une question de musique.

Les sciences vulgaires reposent sur les propriétés de la matière qu'on peut expérimenter et manipuler à son gré ; les phénomènes spirites reposent sur l'action d'intelligences qui ont leur volonté et nous prouvent à chaque instant qu'elles ne sont pas à notre caprice. Les observations ne peuvent donc se faire de la même manière ; elles requièrent des conditions spéciales et un autre point de départ ; vouloir les soumettre à nos procédés ordinaires d'investigation, c'est établir des analogies qui n'existent pas. La science proprement dite, comme science, est donc incompétente pour se prononcer dans la question spiritisme : elle n'a pas à s'en occuper, et son jugement quel qu'il soit, favorable ou non, ne saurait être d'aucun poids. Le spiritisme est le résultat d'une conviction personnelle que les savants peuvent avoir comme individus, abstraction faite de leur qualité de savants ; mais, vouloir déférer la question à la science, autant vaudrait faire décider l'existence de l'âme par une assemblée de physiciens ou d'astronomes ; en effet, le spiritisme est tout entier dans l'existence de l'âme et dans son état après la mort ; or, il est souverainement illogique de penser qu'un homme doive être un grand psychologiste, parce qu'il est un grand mathématicien ou un grand anatomiste. L'anatomiste, en disséquant le corps humain, cherche l'âme, et parce qu'il ne la trouve pas sous son scalpel, comme il y trouve un nerf, ou parce qu'il ne la voit pas s'envoler comme un gaz, en conclut qu'elle n'existe pas, parce qu'il se place au point de vue exclusivement matériel ; s'ensuit-il qu'il ait raison contre l'opinion universelle ? Non. Vous voyez donc que le spiritisme n'est pas du ressort de la science. Quand les croyances spirites seront vulgarisées, quand elles seront acceptées par les masses, et, si l'on en juge par la rapidité avec laquelle elles se propagent, ce temps ne saurait être fort éloigné, il en sera de cela comme de toutes les idées nouvelles oui ont rencontré de l'opposition, les savants se rendront à l'évidence ; ils y arriveront individuellement par la force des choses ; jusque-là il est intempestif de les détourner de leurs travaux spéciaux, pour les contraindre à s'occuper d'une chose étrangère qui n'est ni dans leurs attributions, ni dans leur programme. En attendant, ceux qui, sans une étude préalable et approfondie de la matière, se prononcent pour la négative et bafouent quiconque n'est pas de leur avis, oublient qu'il en a été de même de la plupart des grandes découvertes qui honorent l'humanité ; ils s'exposent à voir leurs noms augmenter la liste des illustres proscripteurs des idées nouvelles, et inscrits à côté de ceux des membres de la docte assemblée qui, en 1752, accueillit avec un immense éclat de rire le mémoire de Franklin sur les paratonnerres, le jugeant indigne de figurer au nombre des communications qui lui étaient adressées ; et de cette autre qui fit perdre à la France le bénéfice de l'initiative de la marine à vapeur, en déclarant le système de Fulton un rêve impraticable ; et pourtant c'étaient des questions de leur ressort. Si donc ces assemblées, qui comptaient dans leur sein l'élite des savants du monde, n'ont eu que la raillerie et le sarcasme pour des idées qu'elles ne comprenaient pas, idées qui, quelques années plus tard, devaient révolutionner la science, les moeurs et l'industrie, comment espérer qu'une question étrangère à leurs travaux obtienne plus de faveur ?

Ces erreurs de quelques-uns, regrettables pour leur mémoire, ne sauraient leur enlever les titres qu'à d'autres égards ils ont acquis à notre estime, mais est-il besoin d'un diplôme officiel pour avoir du bon sens, et ne compte-t-on en dehors des fauteuils académiques que des sots et des imbéciles ? Qu'on veuille bien jeter les yeux sur les adeptes de la doctrine spirite, et l'on verra si l'on n'y rencontre que des ignorants et si le nombre immense d'hommes de mérite qui l'ont embrassée permet de la reléguer au rang des croyances de bonnes femmes. Leur caractère et leur savoir valent bien la peine qu'on dise : puisque de tels hommes affirment, il faut au moins qu'il y ait quelque chose.

Nous répétons encore que si les faits qui nous occupent se fussent renfermés dans le mouvement mécanique des corps, la recherche de la cause physique de ce phénomène rentrait dans le domaine de la science ; mais dès qu'il s'agit d'une manifestation en dehors des lois de l'humanité, elle sort de la compétence de la science matérielle, car elle ne peut s'exprimer ni par les chiffres, ni par la puissance mécanique. Lorsque surgit un fait nouveau qui ne ressort d'aucune science connue, le savant, pour l'étudier, doit faire abstraction de sa science et se dire que c'est pour lui une étude nouvelle qui ne peut se faire avec des idées préconçues.

L'homme qui croit sa raison infaillible est bien près de l'erreur ; ceux mêmes qui ont les idées les plus fausses s'appuient sur leur raison, et c'est en vertu de cela qu'ils rejettent tout ce qui leur semble impossible. Ceux qui ont jadis repoussé les admirables découvertes dont l'humanité s'honore faisaient tous appel à ce juge pour les rejeter ; ce que l'on appelle raison n'est souvent que de l'orgueil déguisé, et quiconque se croit infaillible se pose comme l'égal de Dieu. Nous nous adressons donc à ceux qui sont assez sages pour douter de ce qu'ils n'ont pas vu, et qui, jugeant l'avenir par le passé, ne croient pas que l'homme soit arrivé à son apogée, ni que la nature ait tourné pour lui la dernière page de son livre.

Ajoutons que l'étude d'une doctrine, telle que la doctrine spirite, qui nous lance tout à coup dans un ordre de choses si nouveau et si grand, ne peut être faite avec fruit que par des hommes sérieux, persévérants, exempts de préventions et animés d'une ferme et sincère volonté d'arriver à un résultat. Nous ne saurions donner cette qualification à ceux qui jugent, a priori, légèrement et sans avoir tout vu ; qui n'apportent à leurs études ni la suite, ni la régularité, ni le recueillement nécessaires ; nous saurions encore moins la donner à certaines personnes qui, pour ne pas faillir à leur réputation de gens d'esprit, s'évertuent à trouver un côté burlesque aux choses les plus vraies, ou jugées telles par des personnes dont le savoir, le caractère et les convictions ont droit aux égards de quiconque se pique de savoir-vivre. Que ceux donc qui ne jugent pas les faits dignes d'eux et de leur attention s'abstiennent ; personne ne songe à violenter leur croyance, mais qu'ils veuillent bien respecter celles des autres.

Ce qui caractérise une étude sérieuse, c'est la suite que l'on y apporte. Doit-on s'étonner de n'obtenir souvent aucune réponse sensée à des questions, graves par elles-mêmes, alors qu'elles sont faites au hasard et jetées à brûle-pourpoint au milieu d'une foule de questions saugrenues ? Une question, d'ailleurs, est souvent complexe et demande, pour être éclaircie, des questions préliminaires ou complémentaires. Quiconque veut acquérir une science doit en faire une étude méthodique, commencer par le commencement et suivre l'enchaînement et le développement des idées. Celui qui adresse par hasard à un savant une question sur une science dont il ne sait pas le premier mot, sera-t-il plus avancé ? Le savant lui-même pourra-t-il, avec la meilleure volonté, lui donner une réponse satisfaisante ? Cette réponse isolée sera forcément incomplète, et souvent, par cela même, inintelligible, ou pourra paraître absurde et contradictoire. Il en est exactement de même dans les rapports que nous établissons avec les Esprits. Si l'on veut s'instruire à leur école, c'est un cours qu'il faut faire avec eux ; mais, comme parmi nous, il faut choisir ses professeurs et travailler avec assiduité.

Nous avons dit que les Esprits supérieurs ne viennent que dans les réunions sérieuses, et dans celles surtout où règne une parfaite communion de pensées et de sentiments pour le bien. La légèreté et les questions oiseuses les éloignent, comme, chez les hommes, elles éloignent les gens raisonnables ; le champ reste alors libre à la tourbe des Esprits menteurs et frivoles, toujours à l'affût des occasions de se railler et de s'amuser à nos dépens. Que devient dans une telle réunion une question sérieuse ? Il y sera répondu ; mais par qui ? C'est comme si au milieu d'une troupe de joyeux vivants vous alliez jeter ces questions : Qu'est-ce que l'âme ? Qu'est-ce que la mort ? et d'autres choses aussi récréatives. Si vous voulez des réponses sérieuses, soyez sérieux vous-mêmes dans toute l'acception du mot, et placez-vous dans toutes les conditions voulues : alors seulement vous obtiendrez de grandes choses ; soyez de plus laborieux et persévérants dans vos études, sans cela les Esprits supérieurs vous délaissent, comme le fait un professeur pour ses écoliers négligents.

Le mouvement des objets est un fait acquis ; la question est de savoir si, dans ce mouvement, il y a ou non une manifestation intelligente, et en cas d'affirmative, quelle est la source de cette manifestation.

Nous ne parlons pas du mouvement intelligent de certains objets, ni de communications verbales, ni même de celles qui sont écrites directement par le médium ; ce genre de manifestation, évident pour ceux qui ont vu et approfondi la chose, n'est point, au premier aspect, assez indépendant de la volonté pour asseoir la conviction d'un observateur novice. Nous ne parlerons donc que de l'écriture obtenue à l'aide d'un objet quelconque muni d'un crayon, tel que corbeille, planchette, etc. ; la manière dont les doigts du médium sont posés sur l'objet défie, comme nous l'avons dit, l'adresse la plus consommée de pouvoir participer en quoi que ce soit au tracé des caractères. Mais admettons encore que, par une adresse merveilleuse, il puisse tromper l'oeil le plus scrutateur, comment expliquer la nature des réponses, alors qu'elles sont en dehors de toutes les idées et de toutes les connaissances du médium ? Et qu'on veuille bien remarquer qu'il ne s'agit pas de réponses monosyllabiques, mais souvent de plusieurs pages écrites avec la plus étonnante rapidité, soit spontanément, soit sur un sujet déterminé ; sous la main du médium le plus étranger à la littérature, naissent quelquefois des poésies d'une sublimité et d'une pureté irréprochables, et que ne désavoueraient pas les meilleurs poètes humains ; ce qui ajoute encore à l'étrangeté de ces faits, c'est qu'ils se produisent partout et que les médiums se multiplient à l'infini. Ces faits sont-ils réels ou non ? A cela nous n'avons qu'une chose à répondre : voyez et observez ; les occasions ne vous manqueront pas ; mais surtout observez souvent, longtemps et selon les conditions voulues.

A l'évidence, que répondent les antagonistes ? Vous êtes, disent-ils, dupes du charlatanisme ou le jouet d'une illusion. Nous dirons d'abord qu'il faut écarter le mot charlatanisme là où il n'y a pas de profits ; les charlatans ne font pas leur métier gratis. Ce serait donc tout au plus une mystification. Mais par quelle étrange coïncidence ces mystificateurs se seraient-ils entendus d'un bout du monde à l'autre pour agir de même, produire les mêmes effets et donner sur les mêmes sujets et dans des langues diverses des réponses identiques, sinon quant aux mots, du moins quant au sens ? Comment des personnes graves, sérieuses, honorables, instruites se prêteraient-elles à de pareilles manoeuvres, et dans quel but ? Comment trouverait-on chez des enfants la patience et l'habileté nécessaires ? car si les médiums ne sont pas des instruments passifs, il leur faut une habileté et des connaissances incompatibles avec un certain âge et certaines positions sociales.

Alors on ajoute que, s'il n'y a pas supercherie, des deux côtés on peut être dupe d'une illusion. En bonne logique, la qualité des témoins est d'un certain poids ; or c'est ici le cas de demander si la doctrine spirite, qui compte aujourd'hui ses adhérents par milliers, ne les recrute que parmi les ignorants ? Les phénomènes sur lesquels elle s'appuie sont si extraordinaires que nous concevons le doute ; mais ce que l'on ne saurait admettre, c'est la prétention de certains incrédules au monopole du bon sens, et qui, sans respect pour les convenances ou la valeur morale de leurs adversaires, taxent sans façon d'ineptie tous ceux qui ne sont pas de leur avis. Aux yeux de toute personne judicieuse, l'opinion des gens éclairés qui ont longtemps vu, étudié et médité une chose, sera toujours, sinon une preuve, du moins une présomption en sa faveur, puisqu'elle a pu fixer l'attention d'hommes sérieux n'ayant ni un intérêt à propager une erreur, ni du temps à perdre à des futilités.

Parmi les objections, il en est de plus spécieuses, du moins en apparence, parce qu'elles sont tirées de l'observation et qu'elles sont faites par des personnes graves.

Une de ces objections est tirée du langage de certains Esprits qui ne paraît pas digne de l'élévation qu'on suppose à des êtres surnaturels. Si l'on veut bien se reporter au résumé de la doctrine que nous avons présenté ci-dessus, on y verra que les Esprits eux-mêmes nous apprennent qu'ils ne sont égaux ni en connaissances, ni en qualités morales, et que l'on ne doit point prendre au pied de la lettre tout ce qu'ils disent. C'est aux gens sensés à faire la part du bon et du mauvais. Assurément ceux qui tirent de ce fait la conséquence que nous n'avons affaire qu'à des êtres malfaisants, dont l'unique occupation est de nous mystifier, n'ont pas connaissance des communications qui ont lieu dans les réunions où ne se manifestent que des Esprits supérieurs, autrement ils ne penseraient pas ainsi. Il est fâcheux que le hasard les ait assez mal servis pour ne leur montrer que le mauvais côté du monde spirite, car nous voulons bien ne pas supposer qu'une tendance sympathique attire vers eux les mauvais Esprits plutôt que les bons, les Esprits menteurs ou ceux dont le langage est révoltant de grossièreté. On pourrait tout au plus en conclure que la solidité de leurs principes n'est pas assez puissante pour écarter le mal, et que, trouvant un Certain plaisir à satisfaire leur curiosité à cet égard, les mauvais Esprits en profitent pour se glisser parmi eux, tandis que les bons s'éloignent.

Juger la question des Esprits sur ces faits serait aussi peu logique que de juger le caractère d'un peuple par ce qui se dit et se fait dans l'assemblée de quelques étourdis ou de gens mal famés que ne fréquentent ni les sages, ni les gens sensés. Ces personnes se trouvent dans la situation d'un étranger qui, arrivant dans une grande capitale par le plus vilain faubourg, jugerait tous les habitants par les moeurs et le langage de ce quartier infime. Dans le monde des Esprits, il y a aussi une bonne et une mauvaise société ; que ces personnes veuillent bien étudier ce qui se passe parmi les Esprits d'élite, et elles seront convaincues que la cité céleste renferme autre chose que la lie du peuple. Mais, disent-elles, les Esprits d'élite viennent-ils parmi nous ? A cela nous leur répondrons : Ne restez pas dans le faubourg ; voyez, observez et vous jugerez ; les faits sont là pour tout le monde ; à moins que ce ne soit à elles que s'appliquent ces paroles de Jésus : Ils ont des yeux et ils ne voient point ; des oreilles et ils n'entendent point.

Une variante de cette opinion consiste à ne voir dans les communications spirites, et dans tous les faits matériels auxquels elles donnent lieu, que l'intervention d'une puissance diabolique, nouveau Protée qui revêtirait toutes les formes pour mieux nous abuser. Nous ne la croyons pas susceptible d'un examen sérieux, c'est pourquoi nous ne nous y arrêterons pas : elle se trouve réfutée par ce que nous venons de dire ; nous ajouterons seulement que, s'il en était ainsi, il faudrait convenir que le diable est quelquefois bien sage, bien raisonnable et surtout bien moral, ou bien qu'il y a aussi de bons diables.

Comment croire, en effet, que Dieu ne permette qu'à l'Esprit du mal de se manifester pour nous perdre, sans nous donner pour contrepoids les conseils des bons Esprits ? S'il ne le peut pas, c'est impuissance ; s'il le peut et ne le fait pas, c'est incompatible avec sa bonté ; l'une et l'autre supposition seraient un blasphème. Remarquez qu'admettre la communication des mauvais Esprits, c'est reconnaître le principe des manifestations ; or, du moment qu'elles existent, ce ne peut être qu'avec la permission de Dieu ; comment croire, sans impiété, qu'il ne permette que le mal à l'exclusion du bien ? Une telle doctrine est contraire aux plus simples notions du bon sens et de la religion.

Une chose bizarre, ajoute-t-on, c'est qu'on ne parle que des Esprits de personnages connus, et l'on se demande pourquoi ils sont à se manifester. C'est là une erreur provenant, comme beaucoup d'autres, d'une observation superficielle. Parmi les Esprits qui viennent spontanément, il en est plus encore d'inconnus pour nous que d'illustres, qui se désignent par un nom quelconque et souvent par un nom allégorique ou caractéristique. Quant à ceux que l'on évoque, à moins que ce ne soit un parent ou un ami, il est assez naturel de s'adresser à ceux que l'on connaît plutôt qu'à ceux que l'on ne connaît pas ; le nom des personnages illustres frappe davantage, c'est pour cela qu'ils sont plus remarqués.

On trouve encore singulier que les Esprits d'hommes éminents viennent familièrement à notre appel, et s'occupent quelquefois de choses minutieuses en comparaison de celles qu'ils ont accomplies pendant leur vie. A cela il n'est rien d'étonnant pour ceux qui savent que la puissance ou la considération dont ces hommes ont joui ici-bas ne leur donne aucune suprématie dans le monde spirite ; les Esprits confirment en ceci ces paroles de l'Evangile : Les grands seront abaissés et les petits élevés, ce qui doit s'entendre du rang que chacun de nous occupera parmi eux ; c'est ainsi que celui qui a été le premier sur la terre peut s'y trouver l'un des derniers ; celui devant lequel nous courbions la tête pendant sa vie peut donc venir parmi nous comme le plus humble artisan, car en quittant la vie, il a laissé toute sa grandeur, et le plus puissant monarque y est peut-être au-dessous du dernier de ses soldats.

Un fait démontré par l'observation et confirmé par les Esprits eux-mêmes, c'est que les Esprits inférieurs empruntent souvent des noms connus et révérés. Qui donc peut nous assurer que ceux qui disent avoir été, par exemple, Socrate, Jules César, Charlemagne, Fénelon, Napoléon, Washington, etc., aient réellement animé ces personnages ? Ce doute existe parmi certains adeptes très fervents de la doctrine spirite ; ils admettent l'intervention et la manifestation des Esprits, mais ils se demandent quel contrôle on peut avoir de leur identité. Ce contrôle est, en effet, assez difficile à établir ; s'il ne peut l'être d'une manière aussi authentique que par un acte d'état civil, on le peut au moins par présomption, d'après certains indices.

Lorsque l'Esprit de quelqu'un qui nous est personnellement connu se manifeste, d'un parent ou d'un ami par exemple, surtout s'il est mort depuis peu de temps, il arrive en général que son langage est en rapport parfait avec le caractère que nous lui connaissions ; c'est déjà un indice d'identité ; mais le doute n'est presque plus permis quand cet Esprit parle de choses privées, rappelle des circonstances de famille qui ne sont connues que de l'interlocuteur. Un fils ne se méprendra pas assurément au langage de son père et de sa mère, ni des parents sur celui de leur enfant. Il se passe quelquefois dans ces sortes d'évocations intimes des choses saisissantes, de nature à convaincre le plus incrédule. Le sceptique le plus endurci est souvent terrifié des révélations inattendues qui lui sont faites.

Une autre circonstance très caractéristique vient à l'appui de l'identité. Nous avons dit que l'écriture du médium change généralement avec l'Esprit évoqué, et que cette écriture se reproduit exactement la même chaque fois que le même Esprit se présente ; on a constaté maintes fois que, pour les personnes mortes depuis peu surtout, cette écriture a une ressemblance frappante avec celle de la personne en son vivant ; on a vu des signatures d'une exactitude parfaite. Nous sommes, du reste, loin de donner ce fait comme une règle et surtout comme constant ; nous le mentionnons comme une chose digne de remarque.

Les Esprits arrivés à un certain degré d'épuration sont seuls dégagés de toute influence corporelle ; mais lorsqu'ils ne sont pas complètement dématérialisés (c'est l'expression dont ils se servent), ils conservent la plupart des idées, des penchants et même des manies qu'ils avaient sur la terre, et c'est encore là un moyen de reconnaissance ; mais on en trouve surtout dans une foule de faits de détail que peut seule révéler une observation attentive et soutenue. On voit des écrivains discuter leurs propres ouvrages ou leurs doctrines, en approuver ou condamner certaines parties ; d'autres Esprits rappeler des circonstances ignorées ou peu connues de leur vie ou de leur mort, toutes choses enfin qui sont tout au moins des preuves morales d'identité, les seules que l'on puisse invoquer en fait de choses abstraites.

Si donc l'identité de l'Esprit évoqué peut être, jusqu'à un certain point, établie dans quelques cas, il n'y a pas de raison pour qu'elle ne le soit pas dans d'autres, et si l'on n'a pas, pour les personnes dont la mort est plus ancienne, les mêmes moyens de contrôle, on a toujours celui du langage et du caractère ; car assurément l'Esprit d'un homme de bien ne parlera pas comme celui d'un homme pervers ou d'un débauché. Quant aux Esprits qui se parent de noms respectables, ils se trahissent bientôt par leur langage et leurs maximes ; celui qui se dirait Fénelon, par exemple, et qui blesserait, ne fût-ce qu'accidentellement, le bon sens et la morale, montrerait par cela même la supercherie. Si, au contraire, les pensées qu'il exprime sont toujours pures, sans contradictions et constamment à la hauteur du caractère de Fénelon, il n'y a pas de motifs pour douter de son identité ; autrement, il faudrait supposer qu'un Esprit qui ne prêche que le bien peut sciemment employer le mensonge, et cela sans utilité. L'expérience nous apprend que les Esprits du même degré, du même caractère et animés des mêmes sentiments se réunissent en groupes et en familles ; or, le nombre des Esprits est incalculable, et nous sommes loin de les connaître tous ; la plupart même n'ont pas de noms pour nous. Un Esprit de la catégorie de Fénelon peut donc venir en son lieu et place, souvent même envoyé par lui comme mandataire ; il se présente sous son nom, parce qu'il lui est identique et peut le suppléer, et parce qu'il nous faut un nom pour fixer nos idées ; mais qu'importe, en définitive, qu'un Esprit soit réellement ou non celui de Fénelon ! Du moment qu'il ne dit que de bonnes choses et qu'il parle comme l'aurait dit Fénelon lui-même, c'est un bon Esprit ; le nom sous lequel il se fait connaître est indifférent, et n'est souvent qu'un moyen de fixer nos idées. Il n'en saurait être de même dans les évocations intimes ; mais là, comme nous l'avons dit, l'identité peut être établie par des preuves en quelque sorte patentes.

Au reste, il est certain que la substitution des Esprits peut donner lieu à une foule de méprises, et qu'il peut en résulter des erreurs, et souvent des mystifications ; c'est là une difficulté du spiritisme pratique; mais nous n'avons jamais dit que cette science fût une chose facile, ni qu'on pût l'apprendre en se jouant, pas plus qu'aucune autre science. Nous ne saurions trop le répéter, elle demande une étude assidue et souvent fort longue ; ne pouvant provoquer les faits, il faut attendre qu'ils se présentent d'eux-mêmes, et souvent ils sont amenés par les circonstances auxquelles on songe le moins. Pour l'observateur attentif et patient, les faits abondent, parce qu'il découvre des milliers de nuances caractéristiques qui sont, pour lui, des traits de lumière. Il en est ainsi dans les sciences vulgaires ; tandis que l'homme superficiel ne voit dans une fleur qu'une forme élégante, le savant y découvre des trésors pour la pensée.

Les observations ci-dessus nous conduisent à dire quelques mots d'une autre difficulté, celle de la divergence qui existe dans le langage des Esprits.

Les Esprits étant très différents les uns des autres au point de vue des connaissances et de la moralité, il est évident que la même question peut être résolue dans un sens opposé, selon le rang qu'ils occupent, absolument comme si elle était posée parmi les hommes alternativement à un savant, à un ignorant ou à un mauvais plaisant. Le point essentiel, nous l'avons dit, est de savoir à qui l'on s'adresse.

Mais, ajoute-t-on, comment se fait-il que les Esprits reconnus pour être supérieurs ne soient pas toujours d'accord ? Nous dirons d'abord qu'indépendamment de la cause que nous venons de signaler, il en est d'autres qui peuvent exercer une certaine influence sur la nature des réponses, abstraction faite de la qualité des Esprits ; ceci est un point capital dont l'étude donnera l'explication ; c'est pourquoi nous disons que ces études requièrent une attention soutenue, une observation profonde, et surtout, comme du reste toutes les sciences humaines, de la suite et de la persévérance. Il faut des années pour faire un médiocre médecin, et les trois quarts de la vie pour faire un savant, et l'on voudrait en quelques heures acquérir la science de l'infini ! Qu'on ne s'y trompe donc pas : l'étude du spiritisme est immense ; elle touche à toutes les questions de la métaphysique et de l'ordre social ; c'est tout un monde qui s'ouvre devant nous ; doit-on s'étonner qu'il faille du temps, et beaucoup de temps, pour l'acquérir ?

La contradiction, d'ailleurs, n'est pas toujours aussi réelle qu'elle peut le paraître. Ne voyons-nous pas tous les jours des hommes professant la même science varier dans la définition qu'ils donnent d'une chose, soit qu'ils emploient des termes différents, soit qu'ils l'envisagent sous un autre point de vue, quoique l'idée fondamentale soit toujours la même ? que l'on compte si l'on peut, le nombre des définitions qui ont été données de la grammaire ! Ajoutons encore que la forme de la réponse dépend souvent de la forme de la question. Il y aurait donc de la puérilité à trouver une contradiction là où il n'y a le plus souvent qu'une différence de mots. Les Esprits supérieurs ne tiennent nullement à la forme ; pour eux, le fond de la pensée est tout.

Prenons pour exemple la définition de l'âme. Ce mot n'ayant pas d'acception fixe, les Esprits peuvent donc, ainsi que nous, différer dans la définition qu'ils en donnent : l'un pourra dire qu'elle est le principe de la vie, un autre l'appeler étincelle animique, un troisième dire qu'elle est interne, un quatrième qu'elle est externe, etc., et tous auront raison à leur point de vue. On pourrait même croire que certains d'entre eux professent des théories matérialistes, et pourtant il n'en est rien. Il en est de même de Dieu ; ce sera : le principe de toutes choses, le Créateur de l'univers, la souveraine intelligence, l'infini, le grand Esprit, etc., etc., et en définitive, ce sera toujours Dieu. Citons enfin la classification des Esprits. Ils forment une suite non interrompue depuis le degré inférieur jusqu'au degré supérieur ; la classification est donc arbitraire, l'un pourra en faire trois classes, un autre cinq, dix ou vingt à volonté, sans être pour cela dans l'erreur ; toutes les sciences humaines nous en offrent l'exemple ; chaque savant a son système ; les systèmes changent, mais la science ne change pas. Qu'on apprenne la botanique par le système de Linné, de Jussieu ou de Tournefort, on n'en saura pas moins la botanique. Cessons donc de donner aux choses de pure convention plus d'importance qu'elles n'en méritent pour nous attacher à ce qui est seul véritablement sérieux, et souvent la réflexion fera découvrir dans ce qui semble le plus disparate une similitude qui avait échappé à une première inspection.

Nous passerions légèrement sur l'objection de certains sceptiques au sujet des fautes d'orthographe commises par quelques Esprits, si elle ne devait donner lieu à une remarque essentielle. Leur orthographe, il faut le dire, n'est pas toujours irréprochable ; mais il faut être bien à court de raisons pour en faire l'objet d'une critique sérieuse, en disant que, puisque les Esprits savent tout, ils doivent savoir l'orthographe. Nous pourrions leur opposer les nombreux péchés de ce genre commis par plus d'un savant de la terre, ce qui n'ôte rien de leur mérite ; mais il y a dans ce fait une question plus grave. Pour les Esprits, et surtout pour les Esprits supérieurs, l'idée est tout, la forme n'est rien. Dégagés de la matière, leur langage entre eux est rapide comme la pensée, puisque c'est la pensée même qui se communique sans intermédiaire ; ils doivent donc se trouver mal à l'aise quand ils sont obligés, pour se communiquer à nous, de se servir des formes longues et embarrassées du langage humain, et surtout de l'insuffisance et de l'imperfection de ce langage pour rendre toutes les idées ; c'est ce qu'ils disent eux-mêmes ; aussi est-il curieux de voir les moyens qu'ils emploient souvent pour atténuer cet inconvénient. Il en serait ainsi de nous si nous avions à nous exprimer dans une langue plus longue dans ses mots et dans ses tournures, et plus pauvre dans ses expressions que celle dont nous faisons usage. C'est l'embarras qu'éprouve l'homme de génie s'impatientant de la lenteur de sa plume qui est toujours en arrière de sa pensée. On conçoit d'après cela que les Esprits attachent peu d'importance à la puérilité de l'orthographe, lorsqu'il s'agit surtout d'un enseignement grave et sérieux ; n'est-il pas déjà merveilleux d'ailleurs qu'ils s'expriment indifféremment dans toutes les langues et qu'ils les comprennent toutes ? Il ne faut pas en conclure de là pourtant que la correction conventionnelle du langage leur soit inconnue ; ils l'observent quand cela est nécessaire ; c'est ainsi, par exemple, que la poésie dictée par eux défierait souvent la critique du plus méticuleux puriste, et cela malgré l'ignorance du médium.

Il y a ensuite des gens qui trouvent du danger partout, et à tout ce qu'ils ne connaissent pas ; aussi ne manquent-ils pas de tirer une conséquence défavorable de ce que certaines personnes, en s'adonnant à ces études, ont perdu la raison. Comment des hommes sensés peuvent-ils voir dans ce fait une objection sérieuse ? N'en est-il pas de même de toutes les préoccupations intellectuelles sur un cerveau faible ? Sait-on le nombre des fous et des maniaques produit par les études mathématiques, médicales, musicales, philosophiques et autres ? Faut-il pour cela bannir ces études ? Qu'est-ce que cela prouve ? Par les travaux corporels on s'estropie les bras et les jambes, qui sont les instruments de l'action matérielle ; par les travaux de l'intelligence on s'estropie le cerveau, qui est l'instrument de la pensée. Mais si l'instrument est brisé, l'esprit ne l'est pas pour cela : il est intact ; et lorsqu'il est dégagé de la matière, il n'en jouit pas moins de la plénitude de ses facultés. C'est dans son genre, comme homme, un martyr du travail.

Toutes les grandes préoccupations de l'esprit peuvent occasionner la folie : les sciences, les arts, la religion même fournissent leur contingent. La folie a pour cause première une prédisposition organique du cerveau qui le rend plus ou moins accessible à certaines impressions. Etant donné une prédisposition à la folie, celle-ci prendra le caractère de la préoccupation principale qui devient alors une idée fixe. Cette idée fixe pourra être celle des Esprits chez celui qui s'en est occupé, comme elle pourra être celle de Dieu, des anges, du diable, de la fortune, de la puissance, d'un art, d'une science, de la maternité, d'un système politique social. Il est probable que le fou religieux fût devenu un fou spirite, si le spiritisme eût été sa préoccupation dominante, comme le fou spirite l'eût été sous une autre forme suivant les circonstances.

Je dis donc que le spiritisme n'a aucun privilège sous ce rapport ; mais je vais plus loin : je dis que, bien compris, c'est un préservatif contre la folie.

Parmi les causes les plus nombreuses de surexcitation cérébrale, il faut compter les déceptions, les malheurs, les affections contrariées, qui sont en même temps les causes les plus fréquentes de suicide. Or, le vrai spirite voit les choses de ce monde d'un point de vue si élevé ; elles lui paraissent si petites, si mesquines auprès de l'avenir qui l'attend ; la vie est pour lui si courte, si fugitive, que les tribulations ne sont à ses yeux que les incidents désagréables d'un voyage. Ce qui, chez un autre, produirait une violente émotion, l'affecte médiocrement ; il sait d'ailleurs que les chagrins de la vie sont des épreuves qui servent à son avancement s'il les subit sans murmure, parce qu'il sera récompensé selon le courage avec lequel il les aura supportées. Ses convictions lui donnent donc une résignation qui le préserve du désespoir, et par conséquent, d'une cause incessante de folie et de suicide. Il sait, en outre, par le spectacle que lui donnent les communications avec les Esprits, le sort de ceux qui abrègent volontairement leurs jours, et ce tableau est bien fait pour le faire réfléchir ; aussi le nombre de ceux qui ont été arrêtés sur cette pente funeste est-il considérable. C'est là un des résultats du spiritisme. Que les incrédules en rient tant qu'ils voudront ; je leur souhaite les consolations qu'il procure à tous ceux qui se sont donné la peine d'en sonder les mystérieuses profondeurs.

Au nombre des causes de folie, il faut encore placer la frayeur, et celle du diable a dérangé plus d'un cerveau. Sait-on le nombre de victimes que l'on a faites en frappant de faibles imaginations avec ce tableau que l'on s'ingénie à rendre plus effrayant par de hideux détails ? Le diable, dit-on, n'effraye que les petits enfants ; c'est un frein pour les rendre sages ; oui, comme Croque-mitaine et le loup-garou, et quand ils n'en ont plus peur, ils sont pires qu'avant ; et pour ce beau résultat on ne compte pas le nombre des épilepsies causées par l'ébranlement d'un cerveau délicat. La religion serait bien faible si, faute de crainte, sa puissance pouvait être compromise ; heureusement, il n'en est pas ainsi ; elle a d'autres moyens d'agir sur les âmes ; le spiritisme lui en fournit de plus efficaces et de plus sérieux, si elle sait les mettre à profit ; il montre la réalité des choses, et par là neutralise les funestes effets d'une crainte exagérée.

Il nous reste à examiner deux objections ; les seules qui méritent véritablement ce nom, parce qu'elles sont basées sur des théories raisonnées. L'une et l'autre admettent la réalité de tous les phénomènes matériels et moraux, mais elles excluent l'intervention des Esprits.

Selon la première de ces théories, toutes les manifestations attribuées aux Esprits ne seraient autre chose que des effets magnétiques. Les médiums seraient dans un état qu'on pourrait appeler somnambulisme éveillé, phénomène dont toute personne qui a étudié le magnétisme a pu être témoin. Dans cet état, les facultés intellectuelles acquièrent un développement anormal ; le cercle des perceptions intuitives s'étend hors des limites de notre conception ordinaire. Dès lors, le médium puiserait en lui-même et par le fait de sa lucidité tout ce qu'il dit et toutes les notions qu'il transmet, même sur les choses qui lui sont le plus étrangères dans son état habituel.

Ce n'est pas nous qui contesterons la puissance du somnambulisme dont nous avons vu les prodiges et étudié toutes les phases pendant plus de trente-cinq ans ; nous convenons qu'en effet beaucoup de manifestations spirites peuvent s'expliquer par ce moyen ; mais une observation soutenue et attentive montre une foule de faits où l'intervention du médium, autrement que comme instrument passif, est matériellement impossible. A ceux qui partagent cette opinion, nous dirons comme aux autres : " Voyez et observez, car assurément vous n'avez pas tout vu. " Nous leur opposerons ensuite deux considérations tirées de leur propre doctrine. D'où est venue la théorie spirite ? Est-ce un système imaginé par quelques hommes pour expliquer les faits ? Nullement. Qui donc l'a révélée ? Précisément ces mêmes médiums dont vous exaltez la lucidité. Si donc cette lucidité est telle que vous la supposez, pourquoi auraient-ils attribué à des Esprits ce qu'ils auraient puisé en eux-mêmes ? Comment auraient-ils donné ces renseignements si précis, si logiques, si sublimes sur la nature de ces intelligences extra-humaines ? De deux choses l'une, ou ils sont lucides ou ils ne le sont pas : s'ils le sont et si l'on a confiance en leur véracité, on ne saurait sans contradiction admettre qu'ils ne sont pas dans le vrai. En second lieu, si tous les phénomènes avaient leur source dans le médium, ils seraient identiques chez le même individu, et l'on ne verrait pas la même personne tenir un langage disparate ni exprimer tour à tour les choses les plus contradictoires. Ce défaut d'unité dans les manifestations obtenues par le médium prouve la diversité des sources ; si donc on ne peut les trouver toutes dans le médium, il faut bien les chercher hors de lui.

Selon une autre opinion, le médium est bien la source des manifestations, mais au lieu de les puiser en lui-même, ainsi que le prétendent les artisans de la théorie somnambulique, il les puise dans le milieu ambiant. Le médium serait ainsi une sorte de miroir reflétant toutes les idées, toutes les pensées et toutes les connaissances des personnes qui l'entourent ; il ne dirait rien qui ne soit connu au moins de quelques-unes. On ne saurait nier, et c'est même là un principe de la doctrine, l'influence exercée par les assistants sur la nature des manifestations ; mais cette influence est tout autre que celle qu'on suppose exister, et de là à ce que le médium soit l'écho de leurs pensées, il y a fort loin, car des milliers de faits établissent péremptoirement le contraire. C'est donc là une erreur grave qui prouve une fois de plus le danger des conclusions prématurées. Ces personnes ne pouvant nier l'existence d'un phénomène dont la science vulgaire ne peut rendre compte, et ne voulant pas admettre la présence des Esprits, l'expliquent à leur manière. Leur théorie serait spécieuse si elle pouvait embrasser tous les faits, mais il n'en est point ainsi. Lorsqu'on leur démontre jusqu'à l'évidence que certaines communications du médium sont complètement étrangères aux pensées, aux connaissances, aux opinions même de tous les assistants, que ces communications sont souvent spontanées et contredisent toutes les idées préconçues, elles ne sont pas arrêtées pour si peu de chose. Le rayonnement, disent-elles, s'étend bien au-delà du cercle immédiat qui nous entoure ; le médium est le reflet de l'humanité tout entière, de telle sorte que, s'il ne puise pas ses inspirations à côté de lui, il va les chercher au-dehors, dans la ville, dans la contrée, dans tout le globe et même dans les autres sphères.

Je ne pense pas que l'on trouve dans cette théorie une explication plus simple et plus probable que celle du spiritisme, car elle suppose une cause bien autrement merveilleuse. L'idée que des êtres peuplant les espaces, et qui, étant en contact permanent avec nous, nous communiquent leurs pensées, n'a rien qui choque plus la raison que la supposition de ce rayonnement universel venant de tous les points de l'univers se concentrer dans le cerveau d'un individu.

Encore une fois, et c'est là un point capital sur lequel nous ne saurions trop insister, la théorie somnambulique, et celle qu'on pourrait appeler réflective, ont été imaginées par quelques hommes ; ce sont des opinions individuelles créées pour expliquer un fait, tandis que la doctrine des Esprits n'est point de conception humaine ; elle a été dictée par les intelligences mêmes qui se manifestent, alors que nul n'y songeait, que l'opinion générale même la repoussait ; or nous demandons où les médiums ont été puiser une doctrine qui n'existait dans la pensée de personne sur la terre ; nous demandons en outre par quelle étrange coïncidence des milliers de médiums disséminés sur tous les points du globe, qui ne se sont jamais vus, s'accordent pour dire la même chose. Si le premier médium qui parut en France a subi l'influence d'opinions déjà accréditées en Amérique, par quelle bizarrerie a-t-il été chercher ces idées à 2.000 lieues au-delà des mers, chez un peuple étranger de moeurs et de langage, au lieu de les prendre autour de lui ?

Mais il est une autre circonstance à laquelle on n'a point assez songé. Les premières manifestations, en France comme en Amérique, n'ont eu lieu ni par l'écriture, ni par la parole, mais par les coups frappés concordant avec les lettres de l'alphabet, et formant des mots et des phrases. C'est par ce moyen que les intelligences qui se sont révélées ont déclaré être des Esprits. Si donc on pouvait supposer l'intervention de la pensée des médiums dans les communications verbales ou écrites, il ne saurait en être ainsi des coups frappés dont la signification ne pouvait être connue d'avance.

Nous pourrions citer nombre de faits qui démontrent, dans l'intelligence qui se manifeste, une individualité évidente et une indépendance absolue de volonté. Nous renvoyons donc les dissidents à une observation plus attentive, et s'ils veulent bien étudier sans prévention et ne pas conclure avant d'avoir tout vu, ils reconnaîtront l'impuissance de leur théorie pour rendre raison de tout. Nous nous bornerons à poser les questions suivantes : Pourquoi l'intelligence qui se manifeste, quelle qu'elle soit, refuse-t-elle de répondre à certaines questions sur des sujets parfaitement connus, comme, par exemple, sur le nom ou l'âge de l'interrogateur, sur ce qu'il a dans la main, ce qu'il a fait la veille, son projet du lendemain, etc. ? Si le médium est le miroir de la pensée des assistants, rien ne lui serait plus aisé que de répondre.

Les adversaires rétorquent l'argument en demandant à leur tour pourquoi les Esprits qui doivent tout savoir ne peuvent dire des choses aussi simples, selon l'axiome : Qui peut le plus peut le moins ; d'où ils concluent que ce ne sont pas des Esprits. Si un ignorant ou un mauvais plaisant, se présentant devant une docte assemblée, demandait, par exemple, pourquoi il fait jour en plein midi, croit-on qu'elle se donnât la peine de répondre sérieusement, et serait-il logique de conclure de son silence, ou des railleries dont elle gratifierait le questionneur, que ses membres ne sont que des ânes ? Or, c'est précisément parce que les Esprits sont supérieurs qu'ils ne répondent pas à des questions oiseuses et ridicules, et ne veulent pas être mis sur la sellette ; c'est pourquoi ils se taisent ou disent de s'occuper de choses plus sérieuses.

Nous demanderons, enfin, pourquoi les Esprits viennent et s'en vont souvent à un moment donné, et pourquoi, ce moment passé, il n'y a ni prières, ni supplications qui puissent les ramener ? Si le médium n'agissait que par l'impulsion mentale des assistants, il est évident que, dans cette circonstance, le concours de toutes les volontés réunies devrait stimuler sa clairvoyance. Si donc il ne cède pas au désir de l'assemblée, corroboré par sa propre volonté, c'est qu'il obéit à une influence étrangère à lui-même et à ceux qui l'entourent, et que cette influence accuse par là son indépendance et son individualité.

Le scepticisme, touchant la doctrine spirite, lorsqu'il n'est pas le résultat d'une opposition systématique intéressée, a presque toujours sa source dans une connaissance incomplète des faits, ce qui n'empêche pas certaines gens de trancher la question comme s'ils la connaissaient parfaitement. On peut avoir beaucoup d'esprit, de l'instruction même, et manquer de jugement ; or, le premier indice d'un défaut dans le jugement, c'est de croire le sien infaillible. Beaucoup de personnes aussi ne voient dans les manifestations spirites qu'un objet de curiosité ; nous espérons que, par la lecture de ce livre, elles trouveront dans ces phénomènes étranges autre chose qu'un simple passe-temps.

La science spirite comprend deux parties : l'une expérimentale sur les manifestations en général, l'autre philosophique sur les manifestations intelligentes. Quiconque n'a observé que la première est dans la position de celui qui ne connaîtrait la physique que par des expériences récréatives, sans avoir pénétré dans le fond de la science. La véritable doctrine spirite est dans l'enseignement donné par les Esprits, et les connaissances que cet enseignement comporte sont trop graves pour pouvoir être acquises autrement que par une étude sérieuse et suivie, faite dans le silence et le recueillement ; car dans cette condition seule on peut observer un nombre infini de faits et de nuances qui échappent à l'observateur superficiel et permettent d'asseoir une opinion. Ce livre n'aurait-il pour résultat que de montrer le côté sérieux de la question, et de provoquer des études dans ce sens, ce serait déjà beaucoup, et nous nous applaudirions d'avoir été choisi pour accomplir une oeuvre dont nous ne prétendons, du reste, nous faire aucun mérite personnel, puisque les principes qu'il renferme ne sont pas notre création ; le mérite en est donc tout entier aux Esprits qui l'ont dicté. Nous espérons qu'il aura un autre résultat, c'est de guider les hommes désireux de s'éclairer, en leur montrant, dans ces études, un but grand et sublime : celui du progrès individuel et social, et de leur indiquer la route à suivre pour l'atteindre.

Terminons par une dernière considération. Des astronomes, en sondant les espaces, ont trouvé, dans la répartition des corps célestes, des lacunes non justifiées et en désaccord avec les lois de l'ensemble ; ils ont soupçonné que ces lacunes devaient être remplies par des globes échappés à leurs regards ; d'un autre côté, ils ont observé certains effets dont la cause leur était inconnue, et ils se sont dit : là il doit y avoir un monde, car cette lacune ne peut exister, et ces effets doivent avoir une cause. Jugeant alors de la cause par l'effet, ils en ont pu calculer les éléments, et plus tard les faits sont venus justifier leurs prévisions. Appliquons ce raisonnement à un autre ordre d'idées. Si l'on observe la série des êtres, on trouve qu'ils forment une chaîne sans solution de continuité depuis la matière brute jusqu'à l'homme le plus intelligent. Mais entre l'homme et Dieu, qui est l'alpha et l'oméga de toutes choses, quelle immense lacune ! Est-il rationnel de penser qu'à lui s'arrêtent les anneaux de cette chaîne ? Qu'il franchisse sans transition la distance qui le sépare de l'infini ? La raison nous dit qu'entre l'homme et Dieu il doit y avoir d'autres échelons, comme elle a dit aux astronomes qu'entre les mondes connus il devait y avoir des mondes inconnus. Quelle est la philosophie qui a comblé cette lacune ? Le spiritisme nous la montre remplie par les êtres de tous rangs du monde invisible, et ces êtres ne sont autres que les Esprits des hommes arrivés aux différents degrés qui conduisent à la perfection : alors tout se lie, tout s'enchaîne, depuis l'alpha jusqu'à l'oméga. Vous qui niez l'existence des Esprits, remplissez donc le vide qu'ils occupent ; et vous qui en riez, osez donc rire des oeuvres de Dieu et de sa toute-puissance !

* * * *
* * *
* *
*

Extraits de La Revue Spirite (1858) d'Allan Kardec

Les médiums jugés.

Les antagonistes de la doctrine spirite se sont emparés avec empressement d'un article publié par le Scientific american du 11 juillet dernier, sous le titre de : Les Médiums jugés. Plusieurs journaux français l'ont reproduit comme un argument sans réplique ; nous le reproduisons nous-même, en le faisant suivre de quelques observations qui en montreront la valeur.

" Il y a quelque temps, une offre de 500 dollars (2,500 fr.) avait été faite, par l'intermédiaire du Boston Courier, à toute personne qui, en présence et à la satisfaction d'un certain nombre de professeurs de l'Université de Cambridge, reproduirait quelques-uns de ces phénomènes mystérieux que les Spiritualistes disent communément avoir été produits par l'intermédiaire des agents appelés médiums".

Le défi fut accepté par le docteur Gardner, et par plusieurs personnes qui se vantaient d'être en communication avec les Esprits. Les concurrents se réunirent dans les bâtiments d'Albion, à Boston, la dernière semaine de juin, tout prêts à faire la preuve de leur puissance surnaturelle. Parmi eux on remarquait les jeunes filles Fox, devenues si célèbres par leur supériorité en ce genre. La commission chargée d'examiner les prétentions des aspirants au prix se composait des professeurs Pierce, Agassiz, Gould et Horsford, de Cambridge, tous quatre savants très distingués. Les essais spiritualistes durèrent plusieurs jours ; jamais les médiums n'avaient trouvé une plus belle occasion de mettre en évidence leur talent ou leur inspiration ; mais, comme les prêtres de Baal aux jours d'Elie, ils invoquèrent en vain leurs divinités, ainsi que le prouve le passage suivant du rapport de la commission :

" La commission déclare que le docteur Gardner, n'ayant pas réussi à lui présenter un agent ou médium qui révélât le mot confié aux Esprits dans une chambre voisine ; qui lût le mot anglais écrit à l'intérieur d'un livre ou sur une feuille de papier pliée ; qui répondît à une question que les intelligences supérieures peuvent seules savoir ; qui fît résonner un piano sans le toucher ou avancer une table d'un pied sans l'impulsion des mains ; s'étant montré impuissant à rendre la commission témoin d'un phénomène que l'on pût, même en usant d'une interprétation large et bienveillante, regarder comme l'équivalent des épreuves proposées ; d'un phénomène exigeant pour sa production l'intervention d'un Esprit, supposant ou impliquant du moins cette intervention ; d'un phénomène inconnu jusqu'ici à la science ou dont la cause ne fût pas immédiatement assignable par la commission, palpable pour elle, n'a aucun titre pour exiger du Courrier de Boston la remise de la somme proposée de 2,500 fr. "

L'expérience faite aux Etats-Unis à propos des médiums rappelle celle que l'on fit, il y a une dizaine d'années, en France, pour ou contre les somnambules lucides, c'est-à-dire magnétisés. L'Académie des sciences reçut mission de décerner un prix de 2,500 fr. au sujet magnétique qui lirait les yeux bandés. Tous les somnambules faisaient volontiers cet exercice dans les salons ou sur les tréteaux ; ils lisaient dans des livres fermés et déchiffraient toute une lettre en s'asseyant dessus ou en la posant bien pliée et fermée sur leur ventre ; mais devant l'Académie on ne put rien lire du tout, et le prix ne fut pas gagné.

Cet essai prouve une fois de plus, de la part de nos antagonistes, leur ignorance absolue des principes sur lesquels reposent les phénomènes des manifestations spirites. C'est chez eux une idée fixe que ces phénomènes doivent obéir à la volonté, et se produire avec la précision d'une mécanique. Ils oublient totalement, ou, pour mieux dire, ils ne savent pas que la cause de ces phénomènes est entièrement morale, et que les intelligences qui en sont les premiers agents ne sont au caprice de qui que ce soit, pas plus des médiums que d'autres personnes. Les Esprits agissent quand il leur plaît, et devant qui il leur plaît ; c'est souvent quand on s'y attend le moins que leur manifestation a lieu avec le plus d'énergie, et quand on la sollicite qu'elle ne vient pas. Les Esprits ont des conditions d'être qui nous sont inconnues ; ce qui est en dehors de la matière ne peut être soumis au creuset de la matière. C'est donc s'égarer que de les juger à notre point de vue. S'ils croient utile de se révéler par des signes particuliers, ils le font ; mais ce n'est jamais à notre volonté, ni pour satisfaire une vaine curiosité. Il faut, en outre, tenir compte d'une cause bien connue qui éloigne les Esprits : c'est leur antipathie pour certaines personnes, principalement pour celles qui, par des questions sur des choses connues, veulent mettre leur perspicacité à l'épreuve. Quand une chose existe, dit-on, ils doivent la savoir ; or, c'est précisément parce que la chose est connue de vous, ou que vous avez les moyens de la vérifier vous-même, qu'ils ne se donnent pas la peine de répondre ; cette suspicion les irrite et l'on n'obtient rien de satisfaisant ; elle éloigne toujours les Esprits sérieux qui ne parlent volontiers qu'aux personnes qui s'adressent à eux avec confiance et sans arrière-pensée. N'en avons-nous pas tous les jours l'exemple parmi nous ? Des hommes supérieurs, et qui ont conscience de leur valeur, s'amuseraient-ils à répondre à toutes les sottes questions qui tendraient à les soumettre à un examen comme des écoliers ? Que diraient-ils si on leur disait : " Mais si vous ne répondez pas, c'est que vous ne savez pas ?" Ils vous tourneraient le dos : c'est ce que font les Esprits.

S'il en est ainsi, direz-vous, quel moyen avons-nous de nous convaincre ? Dans l'intérêt même de la doctrine des Esprits, ne doivent-ils pas désirer faire des prosélytes ? Nous répondrons que c'est avoir bien de l'orgueil de se croire indispensable au succès d'une cause ; or les Esprits n'aiment pas les orgueilleux. Ils convainquent ceux qu'ils veulent ; quant à ceux qui croient à leur importance personnelle, ils leur prouvent le cas qu'ils en font en ne les écoutant pas. Voilà, du reste, leur réponse à deux questions sur ce sujet :

Peut-on demander aux Esprits des signes matériels comme preuve de leur existence et de leur puissance ? Rép. " On peut sans doute provoquer certaines manifestations, mais tout le monde n'est pas apte à cela, et souvent ce que vous demandez, vous ne l'obtenez pas ; ils ne sont pas au caprice des hommes. "

Mais lorsqu'une personne demande ces signes pour se convaincre, n'y aurait-il pas utilité à la satisfaire, puisque ce serait un adepte de plus ? Rép. " Les Esprits ne font que ce qu'ils veulent et ce qui leur est permis. En vous parlant et en répondant à vos questions, ils attestent leur présence : cela doit suffire à l'homme sérieux qui cherche la vérité dans la parole. "

Des scribes et des pharisiens dirent à Jésus : Maître, nous voudrions bien que vous nous fissiez voir quelque prodige. Jésus répondit : " Cette race méchante et adultère demande un prodige, et on ne lui en donnera point d'autre que celui de Jonas " (saint Matthieu).

Nous ajouterons encore que c'est bien peu connaître la nature et la cause des manifestations que de croire les exciter par une prime quelconque. Les Esprits méprisent la cupidité autant que l'orgueil et l'égoïsme. Et cette seule condition peut être pour eux un motif de s'abstenir de se manifester. Sachez donc que vous obtiendrez cent fois plus d'un médium désintéressé que de celui qui est mû par l'appât du gain, et qu'un million ne ferait pas faire ce qui ne doit pas être. Si nous nous étonnons d'une chose, c'est qu'il se soit trouvé des médiums capables de se soumettre à une épreuve qui avait pour enjeu une somme d'argent.



* * * *
* * *
* *
*

Extrait de la Revue Spirite de Novembre 1858 d'Allan Kardec



Polémique spirite.

On nous a plusieurs fois demandé pourquoi nous ne répondions pas, dans notre journal, aux attaques de certaines feuilles dirigées contre le Spiritisme en général, contre ses partisans, et quelquefois même contre nous. Nous croyons que, dans certains cas, le silence est la meilleure réponse. Il est d'ailleurs un genre de polémique dont nous nous sommes fait une loi de nous abstenir, c'est celle qui peut dégénérer en personnalités ; non seulement elle nous répugne, mais elle nous prendrait un temps que nous pouvons employer plus utilement, et serait fort peu intéressante pour nos lecteurs, qui s'abonnent pour s'instruire et non pour entendre des diatribes plus ou moins spirituelles ; or, une fois engagé dans cette voie, il serait difficile d'en sortir, c'est pourquoi nous préférons n'y pas entrer, et nous pensons que le Spiritisme ne peut qu'y gagner en dignité. Nous n'avons jusqu'à présent qu'à nous applaudir de notre modération ; nous n'en dévierons pas, et ne donnerons jamais satisfaction aux amateurs de scandale.

Mais il y a polémique et polémique ; il en est une devant laquelle nous ne reculerons jamais, c'est la discussion sérieuse des principes que nous professons. Toutefois, il est ici même une distinction à faire ; s'il ne s'agit que d'attaques générales dirigées contre la doctrine, sans autre but déterminé que celui de critiquer, et de la part de gens qui ont un parti pris de rejeter tout ce qu'ils ne comprennent pas, cela ne mérite pas qu'on s'en occupe ; le terrain que gagne chaque jour le Spiritisme est une réponse suffisamment péremptoire et qui doit leur prouver que leurs sarcasmes n'ont pas produit grand effet ; aussi remarquons-nous que le feu roulant de plaisanteries dont les partisans de la doctrine étaient naguère l'objet, s'éteint peu à peu ; on se demande si, lorsqu'on voit tant de gens éminents adopter ces idées nouvelles, il y a de quoi rire ; quelques-uns ne rient que du bout des lèvres et par habitude, beaucoup d'autres ne rient plus du tout et attendent.

Remarquons encore que, parmi les critiques, il y a beaucoup de gens qui parlent sans connaître la chose, sans s'être donné la peine de l'approfondir ; pour leur répondre il faudrait sans cesse recommencer les explications les plus élémentaires et répéter ce que nous avons écrit, chose que nous croyons inutile. Il n'en est pas de même de ceux qui ont étudié et qui n'ont pas tout compris, de ceux qui veulent sérieusement s'éclairer, qui soulèvent des objections en connaissance de cause et de bonne foi ; sur ce terrain nous acceptons la controverse, sans nous flatter de résoudre toutes les difficultés, ce qui serait par trop présomptueux. La science spirite est à son début, et ne nous a pas encore dit tous ses secrets, quelques merveilles qu'elle nous ait dévoilées. Quelle, est la science qui n'a pas des faits encore mystérieux et inexpliqués ? Nous confesserons donc sans honte notre insuffisance sur tous les points auxquels il ne nous sera pas possible de répondre. Ainsi, loin de repousser les objections et les questions, nous les sollicitons, pourvu qu'elles ne soient pas oiseuses et ne nous fassent pas perdre notre temps en futilités, parce que c'est un moyen de s'éclairer.

C'est là ce que nous appelons une polémique utile, et elle le sera toujours quand elle aura lieu entre des gens sérieux qui se respecteront assez pour ne pas s'écarter des convenances. On peut penser différemment et ne s'en estimer pas moins. Que cherchons-nous tous, en définitive, dans cette question si palpitante et si féconde du Spiritisme ? à nous éclairer ; nous, tout le premier, nous cherchons la lumière, de quelque part qu'elle vienne, et, si nous émettons notre manière de voir, ce n'est qu'une opinion individuelle que nous ne prétendons imposer à personne ; nous la livrons à la discussion, et nous sommes tout prêt à y renoncer s'il nous est démontré que nous sommes dans l'erreur. Cette polémique, nous la faisons tous les jours dans notre Revue par les réponses ou les réfutations collectives que nous saisissons l'occasion de faire à propos de tel ou tel article, et ceux qui nous font l'honneur de nous écrire y trouveront toujours la réponse à ce qu'ils nous demandent, lorsqu'il ne nous est pas possible de la donner individuellement par écrit, ce que le temps matériel ne nous permet pas toujours. Leurs questions et leurs objections sont autant de sujets d'étude dont nous profitons pour nous-même et dont nous sommes heureux de faire profiter nos lecteurs en les traitant à mesure que les circonstances amènent les faits qui peuvent y avoir rapport. Nous nous faisons également un plaisir de donner verbalement les explications qui peuvent nous être demandées par les personnes qui nous honorent de leur visite, et dans ces conférences empreintes d'une bienveillance réciproque on s'éclaire mutuellement.

* * * *
* * *
* *
*

Extrait de la Revue Spirite d'avril 1859

Fraudes spirites.

Ceux qui n'admettent pas la réalité des manifestations physiques, attribuent généralement à la fraude les effets produits. Ils se fondent sur ce que les prestidigitateurs habiles font des choses qui paraissent des prodiges quand on ne connaît pas leurs secrets ; d'où ils concluent que les médiums ne sont autres que des escamoteurs. Nous avons déjà réfuté cet argument, ou plutôt cette opinion, notamment dans nos articles sur M. Home et dans les n° de la Revue de janvier et février 1858 ; nous n'en dirons donc que quelques mots avant de parler d'une chose plus sérieuse.

De ce qu'il y a des charlatans qui débitent des drogues sur les places publiques, de ce qu'il y a même des médecins qui, sans aller sur la place publique, trompent la confiance, s'ensuit-il que tous les médecins sont des charlatans, et le corps médical en est-il atteint dans sa considération ? De ce qu'il y a des gens qui vendent de la teinture pour du vin, s'ensuit-il que tous les marchands de vin sont des frelateurs et qu'il n'y a point de vin pur ? On abuse de tout, même des choses les plus respectables, et l'on peut dire que la fraude a aussi son génie. Mais la fraude a toujours un but, un intérêt matériel quelconque ; là où il n'y a rien à gagner il n'y a nul intérêt à tromper. Aussi avons-nous dit, dans notre numéro précédent, à propos des médiums mercenaires, que la meilleure de toutes les garanties est un désintéressement absolu.

Cette garantie, dira-t-on, n'en est pas une, car en fait de prestidigitation il y a des amateurs fort habiles qui n'ont en vue que d'amuser une société et n'en font point un métier ; ne peut-il en être de même des médiums ? Sans doute, on peut s'amuser un instant à amuser les autres, mais pour y passer des heures entières, et cela pendant des semaines, des mois et des années, il faudrait vraiment être possédé du démon de la mystification, et le premier mystifié serait le mystificateur. Nous ne répéterons point ici tout ce qui a été dit sur la bonne foi possible des médiums et des assistants qui peuvent être le jouet d'une illusion ou d'une fascination. Nous y avons répondu vingt fois ainsi qu'à toutes les autres objections pour lesquelles nous renvoyons notamment à notre Instruction pratique sur les manifestations et à nos précédents articles de la Revue. Notre but n'est pas ici de convaincre les incrédules ; s'ils ne le sont pas par les faits, ils ne le seront pas davantage par des raisonnements : ce serait donc perdre notre temps. Nous nous adressons au contraire aux adeptes pour les prémunir contre les subterfuges dont ils pourraient être dupes de la part de gens intéressés, par un motif quelconque, à simuler certains phénomènes ; nous disons certains phénomènes, parce qu'il en est qui défient évidemment toute l'habileté de la prestidigitation, tels sont notamment le mouvement des objets sans contact, la suspension des corps graves dans l'espace, les coups frappés de différents côtés, les apparitions, etc., et encore, pour quelques uns de ces phénomènes, pourrait-on, jusqu'à un certain point, les simuler, tant l'art de l'imitation a progressé. Ce qu'il faut faire en pareil cas, c'est observer attentivement les circonstances, et surtout tenir compte du caractère et de la position des personnes, du but et de l'intérêt quelles pourraient avoir à tromper : c'est là le meilleur de tous les contrôles, car il est telles circonstances qui enlèvent tout motif à la suspicion. Nous posons donc en principe qu'il faut se défier de quiconque ferait de ces phénomènes un spectacle ou un objet de curiosité et d'amusement, qui en tirerait un profit quelque minime qu'il soit, et se vanterait de les produire à volonté et à point nommé. Nous ne saurions trop le répéter, les intelligences occultes qui se manifestent à nous ont leurs susceptibilités, et veulent nous prouver qu'elles ont aussi leur libre arbitre, et ne se soumettent pas à nos caprices.

De tous les phénomènes physiques, un des plus ordinaires est celui des coups intimes frappés dans la substance même du bois, avec ou sans mouvement de la table ou autre objet dont on se sert. Or, cet effet est un des plus faciles à imiter, et comme c'est aussi un de ceux qui se produisent le plus fréquemment, nous croyons utile de dévoiler la petite ruse avec laquelle on peut donner le change. Il suffit pour cela de poser ses deux mains à plat sur la table et assez rapprochées pour que les ongles des pouces appuient fortement l'un contre l'autre ; alors par un mouvement musculaire tout à fait imperceptible, on leur fait éprouver un frottement qui donne un petit bruit sec, ayant une grande analogie avec ceux de la typtologie intime. Ce bruit se répercute dans le bois et produit une illusion complète. Rien n'est plus facile que de faire entendre autant de coups qu'on en demande, une batterie de tambour, etc. ; de répondre à certaines questions par oui ou par non, par des nombres, ou même par l'indication des lettres de l'alphabet.

Une fois prévenu, le moyen de reconnaître la fraude est bien simple. Elle n'est plus possible si les mains sont écartées l'une de l'autre, et si l'on est assuré qu'aucun autre contact ne peut produire le bruit. Les coups réels offrent d'ailleurs cela de caractéristique, qu'ils changent de place et de timbre à volonté, ce qui ne peut avoir lieu quand il est dû à la cause que nous signalons ou à toute autre analogue ; qu'il sort de la table pour se porter sur un meuble quelconque que personne ne touche, qu'il répond enfin à des questions non prévues.

Nous appelons donc l'attention des gens de bonne foi sur ce petit stratagème et sur tous ceux qu'ils pourraient reconnaître, afin de les signaler sans ménagement. La possibilité de la fraude et de l'imitation n'empêche pas la réalité des faits, et le spiritisme ne peut que gagner à démasquer les imposteurs. Si quelqu'un nous dit : J'ai vu tel phénomène, mais il y avait supercherie, nous répondrons que c'est possible ; nous avons vu nous-même de soi-disant somnambules simuler le somnambulisme avec beaucoup d'adresse, ce qui n'empêche pas le somnambulisme d'être un fait ; tout le monde a vu des marchands vendre du coton pour de la soie, ce qui n'empêche pas qu'il y ait de véritables étoffes de soie. Il faut examiner toutes les circonstances et voir si le doute est fondé ; mais en cela, comme en toutes choses, il faut être expert ; or, nous ne saurions reconnaître pour juge d'une question quelconque celui qui n'y connaît rien.

Nous en dirons autant des médiums écrivains. On pense généralement que ceux qui sont mécaniques offrent plus de garantie, non seulement pour l'indépendance des idées, mais aussi contre la supercherie. Eh bien ! c'est une erreur. La fraude se glisse partout, et nous savons qu'avec de l'habileté on peut diriger à volonté même une corbeille ou une planchette qui écrit, et lui donner toutes les apparences des mouvements spontanés. Ce qui lève tous les doutes, ce sont les pensées exprimées, qu'elles viennent d'un médium mécanique, intuitif, auditif, parlant ou voyant. Il y a des communications qui sont tellement en dehors des idées, des connaissances, et même de la portée intellectuelle du médium qu'il faudrait s'abuser étrangement pour lui en faire honneur. Nous reconnaissons au charlatanisme une grande habileté et de fécondes ressources, mais nous ne lui connaissons pas encore le don de donner du savoir à un ignorant, ou de l'esprit à celui qui n'en a pas.

* * * *
* * *
* *
*

Réfutation d'un article de l'Univers - Extrait de la Revue Spirite de mai 1859

Le journal l'Univers, dans son numéro du 13 avril dernier, contient un article de M. l'abbé Chesnel où la question du spiritisme est longuement discutée. Nous l'aurions laissé passer comme tant d'autres auxquels nous n'attachons aucune importance, s'il s'agissait d'une de ces diatribes grossières qui prouvent tout au moins de la part de leurs auteurs l'ignorance la plus absolue de ce qu'ils attaquent. Nous nous plaisons à reconnaître que l'article de M. l'abbé Chesnel est rédigé dans un tout autre esprit. Par la modération et la convenance de son langage, il mérite une réponse, d'autant plus nécessaire que cet article contient une erreur grave et peut donner une idée très fausse soit du spiritisme en général, soit en particulier du caractère et de l'objet des travaux de la Société parisienne des études spirites. Nous citons l'article dans son entier.

" Tout le monde connaît le spiritualisme de M. Cousin, cette philosophie destinée à prendre doucement la place de la religion. Aujourd'hui, nous possédons sous le même titre un corps de doctrines révélées, qui va se complétant peu à peu, et un culte fort simple, il est vrai, mais d'une efficacité merveilleuse, puisqu'il mettrait les dévots en communication réelle, sensible et presque permanente avec le monde surnaturel.

" Ce culte a des assemblées périodiques qui s'ouvrent par l'invocation d'un saint canonisé. Après avoir constaté la présence au milieu des fidèles de saint Louis, roi de France, on le supplie d'interdire aux malins esprits l'entrée du temple, et on lit le procès-verbal de la séance précédente. Puis, sur l'invitation du président, un médium monte au bureau près du secrétaire chargé d'écrire les demandes faites par l'un des fidèles et les réponses qui seront dictées au médium par l'esprit invoqué. L'assemblée assiste gravement, pieusement, à cette scène de nécromancie quelquefois très longue, et quand l'ordre du jour est épuisé, on se retire plus persuadé que jamais de la vérité du spiritualisme. Chaque fidèle, dans l'intervalle qui s'écoule jusqu'à la réunion suivante, ne néglige point d'entretenir un commerce assidu, mais privé, avec ceux des esprits qui lui sont ou le plus accessibles ou le plus chers. Les médium abondent, et il n'y a guère de secrets dans l'autre vie que les médium ne finissent par pénétrer. Ces secrets une fois révélés aux fidèles, ne sont pas dérobés au public. La Revue spiritualiste, qui paraît régulièrement tous les mois, ne refuse aucun abonnement profane, et le premier venu peut acheter les livres qui contiennent le texte révélé avec son commentaire authentique.

" On serait porté à croire qu'une religion qui consiste uniquement dans l'évocation des morts est fort hostile à l'Eglise catholique, qui n'a jamais cessé d'interdire la pratique de la nécromancie. Mais ces sentiments étroits, tout naturels qu'ils paraissent, n'en sont pas moins étrangers, assure-t-on, au coeur des spiritualistes. Ils rendent volontiers justice à l'Evangile et à son Auteur ; ils avouent que Jésus a vécu, agi, parlé, souffert comme nos quatre évangélistes le racontent. La doctrine évangélique est vraie ; mais cette révélation dont Jésus fut l'organe, loin d'exclure tout progrès, a besoin d'être complétée. C'est le spiritualisme qui donnera à l'Evangile la saine interprétation qui lui manque et le complément qu'il attend depuis dix-huit siècles.

" Mais aussi, qui assignera des limites au progrès du christianisme enseigné, interprété, développé tel qu'il l'est par des âmes dégagées de la matière, étrangères aux passions terrestres, à nos préjugés et aux intérêts humains ? L'infini lui-même se découvre à nous ; or, l'infini n'a pas de bornes, et tout nous fait espérer que la révélation de l'infini sera continuée sans interruption ; à mesure que s'écouleront les siècles, on verra les révélations ajoutées aux révélations, sans épuiser jamais ces mystères dont l'étendue et la profondeur semblent grandir à mesure qu'ils se dégagent de l'obscurité qui les avait enveloppés jusqu'ici.

" D'où cette conséquence que le spiritualisme est une religion, puisqu'il nous met intimement en relation avec l'infini et qu'il absorbe, en l'élargissant, le christianisme, qui, de toutes les formes religieuses présentes ou passées, est, comme on l'avoue sans peine, la plus élevée, la plus pure et la plus parfaite. Mais agrandir le christianisme est une tâche difficile, qui ne peut être accomplie sans renverser les barrières derrière lesquelles il se tient retranché. Les rationalistes ne respectent aucune barrière ; moins ardents ou mieux avisés, les spiritualistes n'en trouvent que deux dont l'abaissement paraisse indispensable, savoir, l'autorité de l'Eglise catholique, et le dogme de l'éternité des peines.

" Cette vie est-elle l'unique épreuve qu'il soit donné à l'homme de traverser ? L'arbre demeure-t-il éternellement du côté où il est tombé ? L'état de l'âme, après la mort, est-il définitif, irrévocable et éternel ? Non, répond la nécromancie spiritualiste. A la mort, rien ne finit, tout recommence. La mort est pour chacun de nous le point de départ d'une incarnation nouvelle, d'une nouvelle vie et d'une nouvelle épreuve.

" Dieu, selon le panthéisme allemand, n'est pas l'être, mais le devenir éternel. Quoi qu'il en soit de Dieu, l'homme, d'après les spiritualistes parisiens, n'a pas d'autre destinée que le devenir progressif ou rétrogressif, selon ses mérites et selon ses oeuvres. La loi morale ou religieuse a une sanction véritable dans les autres vies, où les bons sont récompensés et les méchants punis, mais durant une période plus ou moins longue d'années ou de siècles, et non pendant l'éternité.

" Le spiritualisme serait-il la forme mystique de l'erreur dont M. Jean Reynaud est le théologien ? Peut-être. Est-il permis d'aller plus loin et de dire qu'entre M. Reynaud et les nouveaux sectaires il existe un lien plus étroit que celui de la communauté de doctrines ? Peut-être encore. Mais cette question, faute de renseignements certains, ne sera pas tranchée ici d'une manière décisive.

" Ce qui importe beaucoup plus que la parenté ou les alliances hérétiques de M. Jean Reynaud, c'est la confusion d'idées dont le progrès du spiritualisme est le signe ; c'est l'ignorance en matière de religion, qui rend possible tant d'extravagance ; c'est la légèreté avec laquelle des hommes, d'ailleurs estimables, accueillent ces révélations de l'autre monde qui n'ont aucun mérite, pas même celui de la nouveauté.

" Il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'à Pythagore et aux prêtres de l'Egypte pour découvrir les origines du spiritualisme contemporain. On les trouvera en feuilletant les procès-verbaux du magnétisme animal.

" Dès le XVIII° siècle, la nécromancie jouait un grand rôle dans les pratiques du magnétisme ; et plusieurs années avant qu'il fût question d'esprits frappeurs en Amérique, certains magnétiseurs français obtenaient, disaient-ils, de la bouche des morts ou des démons, la confirmation des doctrines condamnées par l'Eglise ; et notamment celle des erreurs d'Origène touchant la conversion future des mauvais anges et des réprouvés.

" Il faut dire aussi que le médium spiritualiste dans l'exercice de ses fonctions diffère peu du sujet sous la main du magnétiseur, et que le cercle embrassé par les révélations du premier ne dépasse pas non plus celui qui borne la vue du second.

" Les renseignements que la curiosité obtient dans les affaires privées, au moyen de la nécromancie, n'apprennent, en général, rien de plus que ce qui était connu auparavant. La réponse du médium spiritualiste est obscure dans les points que nos recherches personnelles n'ont pu éclaircir ; elle est nette et précise dans les choses qui nous sont bien connues ; muette sur tout ce qui s'est dérobé à nos études et à nos efforts. Il semble, en un mot, que le médium a une vue magnétique de notre âme, mais qui ne découvre rien au-delà de ce qu'il y trouve écrit. Mais cette explication, qui paraît bien simple, est pourtant sujette à de graves difficultés. Elle suppose, en effet, qu'une âme peut naturellement lire au fond d'une autre âme sans le secours des signes et indépendamment de la volonté de celui qui deviendrait pour le premier venu un livre ouvert et très lisible. Or les anges, bons ou mauvais, ne possèdent naturellement ce privilège ni par rapport à nous, ni dans les relations directes qu'ils ont entre eux. Dieu seul pénètre immédiatement les esprits et scrute jusqu'au fond des coeurs le plus obstinément fermés à sa lumière.

" Si les faits spiritualistes les plus étranges qu'on rapporte sont authentiques, il faudrait donc, pour les expliquer, recourir à d'autres principes. On oublie trop que ces faits se rapportent en général à un objet qui préoccupe fortement le coeur ou l'intelligence, qui a provoqué de longues recherches, et dont on a souvent parlé en dehors de la consultation spiritualiste. Dans ces conditions, qu'il ne faut pas perdre de vue, une certaine connaissance des choses qui nous intéressent ne dépasse nullement les limites naturelles de la puissance des esprits.

" Quoi qu'il en soit, il n'y a pas autre chose, dans le spectacle qui nous est donné aujourd'hui, qu'une évolution du magnétisme qui s'efforce de devenir une religion.

" Sous la forme dogmatique et polémique que la religion nouvelle doit à M. Jean Reynaud, elle a encouru la condamnation du Concile de Périgueux, dont la compétence, on s'en souvient, a été gravement niée par le coupable.

" Dans la forme mystique qu'elle prend aujourd'hui à Paris, elle mérite d'être étudiée au moins comme un signe des temps où nous vivons. Le spiritualisme a enrôlé déjà un certain nombre d'hommes parmi lesquels plusieurs sont honorablement connus dans le monde. Ce pouvoir de séduction qu'il exerce, le progrès lent, mais non interrompu, qui lui est attribué par des témoins dignes de foi, les prétentions qu'il affiche, les problèmes qu'il pose, le mal qu'il peut faire aux âmes, voilà sans doute assez de motifs réunis pour attirer de ce côté l'attention des catholiques. Gardons-nous d'attribuer à la nouvelle secte plus d'importance qu'elle n'en a réellement. Mais pour éviter l'exagération qui grossit tout, ne tombons pas non plus dans la manie de nier et d'amoindrir toutes choses. Nolite omni spiritui credere, sed probate spiritus si ex Deo sint : Quoniam multi pseudoprophetoe exierunt in mundum. (I Joan. IV. 1.) "


L'ABBE FRANÇOIS CHESNEL.

Réponse d'Allan Kardec

MONSIEUR L'ABBE,

L'article que vous avez publié dans l'Univers concernant le spiritisme, contient plusieurs erreurs qu'il importe de rectifier, et qui proviennent, sans aucun doute, d'une étude incomplète de la matière. Pour les réfuter toutes, il faudrait reprendre, en sous-oeuvre, tous les points de la théorie, ainsi que les traits qui lui servent de base, et c'est ce que je n'ai nullement l'intention de faire ici. Je me borne aux points principaux.

Vous voulez bien reconnaître que les idées spirites ont enrôlé un certain nombre d'hommes honorablement connus dans le monde ; ce fait, dont la réalité dépasse sans doute de beaucoup ce que vous croyez, mérite incontestablement l'attention de tout homme sérieux, car tant de gens éminents par leur intelligence, leur savoir et leur position sociale, ne se passionneraient pas pour une idée dénuée de tout fondement. La conclusion naturelle en est qu'au fond de tout cela il doit y avoir quelque chose.

Vous objecterez sans doute que certaines doctrines, moitié religieuses, moitiés sociales, ont trouvé dans ces dernières années des sectaires dans les rangs même de l'aristocratie intellectuelle, ce qui ne les a pas empêchées de tomber sous le ridicule. Les hommes d'intelligence peuvent donc se laisser séduire par des utopies. A cela je réponds que les utopies n'ont qu'un temps ; tôt ou tard la raison en fait justice ; il en sera de même du spiritisme, si c'en est une ; si c'est une vérité, il triomphera de toutes les oppositions, de tous les sarcasmes, je dirai même de toutes les persécutions, si les persécutions étaient encore de notre siècle, et les détracteurs en seront pour leurs frais ; il faudra bien que bon gré mal gré les opposants l'acceptent, comme on a accepté tant de choses, contre lesquelles on avait protesté, soi-disant au nom de la raison. Le spiritisme est-il une vérité ? L'avenir jugera ; déjà il semble se prononcer par la rapidité avec laquelle ces idées se propagent, et remarquez bien que ce n'est pas dans la classe ignorante et illettrée qu'elles trouvent des adhérents, mais bien au contraire parmi les gens éclairés.

Il est encore à remarquer que toutes les doctrines philosophiques sont l'oeuvre d'hommes à pensées plus ou moins grandes, plus ou moins justes ; toutes ont un chef, autour duquel se sont groupés d'autres hommes partageant la même manière de voir. Quel est l'auteur du spiritisme ? Quel est celui qui a imaginé cette théorie, vraie ou fausse ? On a cherché à la coordonner, à la formuler, à l'expliquer, c'est vrai ; mais l'idée première, qui l'a conçue ? Personne ; ou pour mieux dire tout le monde, parce que chacun a pu voir et que ceux qui n'ont pas vu, c'est qu'ils n'ont pas voulu voir, ou qu'ils ont voulu voir à leur manière, sans sortir du cercle de leurs idées préconçues, ce qui fait qu'ils ont mal vu et mal jugé. Le spiritisme découle d'observations que chacun peut faire, qui ne sont un privilège pour personne, c'est ce qui explique son irrésistible propagation ; il n'est le produit d'aucun système individuel, et c'est ce qui le distingue de toutes les autres doctrines philosophiques.

Ces révélations de l'autre monde n'ont pas même, dites-vous, le mérite de la nouveauté. Serait-ce donc un mérite que la nouveauté ? Qui a jamais prétendu que ce fût une découverte moderne ? Ces communications étant une conséquence de la nature humaine, et ayant lieu par la volonté de Dieu, font partie des lois immuables par lesquelles il régit le monde ; elles ont donc dû exister depuis qu'il y a des hommes sur la terre ; voilà pourquoi on les retrouve dans la plus haute antiquité, chez tous les peuples, dans l'histoire profane, aussi bien que dans l'histoire sacrée. L'ancienneté et l'universalité de cette croyance sont des arguments en sa faveur ; en tirer contre elle une conclusion défavorable, serait manquer de logique au premier chef.

Vous dites ensuite que la faculté des médiums diffère peu de celle du sujet sous la main du magnétiseur, autrement dit du somnambule ; mais admettons même une parfaite identité ; quelle peut être la cause de cette admirable clairvoyance somnambulique, clairvoyance qui ne trouve d'obstacle ni dans la matière, ni dans la distance ; qui s'exerce sans le concours des organes de la vue ? N'est-ce pas la démonstration la plus patente de l'existence et de l'individualité de l'âme, pivot de la religion ? Si j'étais prêtre, et que je voulusse dans un sermon prouver qu'il y a en nous autre chose que le corps, je le démontrerais d'une manière irrécusable par les phénomènes du somnambulisme naturel ou artificiel. Si la médiumnité n'est qu'une variété du somnambulisme, ses effets n'en sont pas moins dignes d'observations. J'y trouverais une preuve de plus en faveur de ma thèse et m'en ferais une arme nouvelle contre l'athéisme et le matérialisme. Toutes nos facultés sont l'oeuvre de Dieu ; plus elles sont grandes et merveilleuses, plus elles attestent sa puissance et sa bonté.

Pour moi qui, pendant trente-cinq ans, ai fait du somnambulisme une étude spéciale, qui en ai fait une non moins approfondie de toutes les variétés de médiums, je dis, comme tous ceux qui ne jugent pas sur la vue d'une seule face, que le médium est doué d'une faculté particulière, qui ne permet pas de le confondre avec le somnambule, et que la complète indépendance de sa pensée est prouvée par des faits de la dernière évidence, pour quiconque se place dans les conditions voulues pour observer sans partialité. Abstraction faite des communications écrites, quel est le somnambule qui a jamais fait jaillir une pensée d'un corps inerte ? qui a produit des apparitions visibles et même tangibles ? qui a pu maintenir un corps grave dans l'espace sans point d'appui ? Est-ce par un effet somnambulique qu'un médium a dessiné, il y a quinze jours, chez moi, en présence de vingt témoins, le portrait d'une jeune personne morte depuis dix-huit mois et qu'il n'avait jamais connue, portrait reconnu par le père présent à la séance ? Est-ce par un effet somnambulique qu'une table répond avec précision aux questions proposées, à des questions mentales, même ? Assurément, si l'on admet que le médium soit dans un état magnétique, il me paraît difficile de croire que la table soit somnambule.

Vous dites que le médium ne parle clairement que de choses connues. Comment expliquer le fait suivant et cent autres du même genre qui se sont maintes fois reproduits à ma connaissance personnelle ? Un de mes amis, très bon médium écrivain, demande à un Esprit si une personne qu'il a perdue de vue depuis quinze ans est encore de ce monde. " Oui, elle vit encore, lui est-il répondu ; elle demeure à Paris, telle rue, tel numéro. " Il va, et trouve la personne à l'adresse indiquée. Est-ce de l'illusion ? Sa pensée pouvait-elle lui suggérer cette réponse ? Si, dans certains cas, les réponses peuvent s'accorder avec la pensée, est-il rationnel d'en conclure que ce soit une loi générale ? En cela, comme en toutes choses, les jugements précipités sont toujours dangereux, parce qu'ils peuvent être infirmés par les faits que l'on n'a pas observés.

Au reste, monsieur l'abbé, mon intention n'est point ici de faire un cours de spiritisme, ni d'en discuter l'erreur ou la vérité. Il me faudrait, comme je l'ai dit tout à l'heure, rappeler les faits innombrables que j'ai cités dans la Revue Spirite, ainsi que les explications que j'en ai données dans mes divers écrits. J'arrive donc à la partie de votre article qui me paraît la plus grave.

Vous intitulez votre article : Une religion nouvelle à Paris. En supposant que tel fût en effet le caractère du spiritisme, il y aurait là une première erreur, attendu qu'il est loin d'être circonscrit dans Paris. Il compte plusieurs millions d'adhérents répandus dans les cinq parties du monde, et Paris n'en a pas été le foyer primitif. En second lieu est-ce une religion ? Il est aisé de démontrer le contraire.

Le spiritisme est fondé sur l'existence d'un monde invisible, formé d'êtres incorporels qui peuplent l'espace, et qui ne sont autres que les âmes de ceux qui ont vécu sur la Terre ou dans les autres globes où ils ont laissé leur enveloppe matérielle. Ce sont ces êtres auxquels nous avons donné, ou mieux qui se sont donné le nom d'Esprits. Ces êtres, qui nous entourent sans cesse, exercent sur les hommes à leur insu une grande influence ; ils jouent un rôle très actif dans le monde moral, et jusqu'à un certain point dans le monde physique. Le spiritisme est donc dans la nature, et l'on peut dire que, dans un certain ordre d'idées, c'est une puissance, comme l'électricité en est une à un autre point de vue, comme la gravitation universelle en est une autre.

Il nous dévoile le monde des invisibles, comme le microscope nous a dévoilé le monde des infiniment petits que nous ne soupçonnions pas. Les phénomènes dont ce monde invisible est la source ont donc dû se produire, et se sont produits dans tous les temps, voilà pourquoi l'histoire de tous les peuples en fait mention. Seulement, dans leur ignorance, les hommes ont attribué ces phénomènes à des causes plus ou moins hypothétiques, et donné sous ce rapport un libre cours à leur imagination, comme ils l'ont fait pour tous les phénomènes dont la nature leur était imparfaitement connue. Le spiritisme, mieux observé depuis qu'il est vulgarisé, vient jeter la lumière sur une foule de questions jusqu'ici insolubles ou mal résolues. Son véritable caractère est donc celui d'une science et non d'une religion, et la preuve en est, c'est qu'il compte parmi ses adhérents des hommes de toutes les croyances et qui n'ont point pour cela renoncé à leurs convictions : des catholiques fervents qui n'en pratiquent pas moins tous les devoirs de leur culte, des protestants de toutes les sectes, des israélites, des musulmans et jusqu'à des bouddhistes et des brahmistes ; il y a de tout, excepté des matérialistes et des athées, parce que ces idées sont incompatibles avec les observations spirites. Le spiritisme repose donc sur des principes généraux indépendants de toute question dogmatique. Il a, il est vrai, des conséquences morales comme toutes les sciences philosophiques ; ces conséquences sont dans le sens du christianisme, parce que le christianisme est de toutes les doctrines la plus éclairée, la plus pure, et c'est pour cette raison que de toutes les sectes religieuses du monde, les chrétiens sont les plus aptes à le comprendre dans sa véritable essence. Le spiritisme n'est donc point une religion : autrement il aurait son culte, ses temples, ses ministres. Chacun sans doute peut se faire une religion de ses opinions, interpréter à son gré les religions connues, mais de là à la constitution d'une nouvelle Eglise, il y a loin, et je crois qu'il serait imprudent d'en donner l'idée. En résumé, le spiritisme s'occupe de l'observation des faits, et non des particularités de telle ou telle croyance, de la recherche des causes, de l'explication que ces faits peuvent donner de phénomènes connus, dans l'ordre moral comme dans l'ordre physique, et n'impose pas plus un culte à ses partisans que l'astronomie n'impose le culte des astres, ni la pyrotechnie celui du feu. Bien plus : de même que le sabéisme est né de l'astronomie mal comprise, le spiritisme, mal compris dans l'antiquité, a été la source du polythéisme. Aujourd'hui que, grâce aux lumières du christianisme, nous pouvons le juger plus sainement, il nous met en garde contre les systèmes erronés, fruits de l'ignorance ; et la religion elle-même peut y puiser la preuve palpable de beaucoup de vérités contestées par certaines opinions ; voilà pourquoi, contrairement à la plupart des sciences philosophiques, un de ses effets est de ramener aux idées religieuses ceux qui sont égarés par un scepticisme exagéré.

La Société dont vous parlez définit son objet par son titre même ; le nom de : Société parisienne des études spirites ne ressemble guère à celui d'une secte ; elle en a si peu le caractère que son règlement lui interdit de s'occuper de questions religieuses ; elle est rangée dans la catégorie des sociétés scientifiques, parce qu'en effet son but est d'étudier et d'approfondir tous les phénomènes qui résultent des rapports entre le monde visible et le monde invisible ; elle a son président, son secrétaire, son trésorier, comme toutes les sociétés ; elle ne convie point le public à ses séances ; on n'y fait aucun discours, ni rien qui ait le caractère d'un culte quelconque. Elle procède à ses travaux avec calme et recueillement, d'abord parce que c'est une condition nécessaire pour les observations ; secondement, parce qu'elle sait le respect que l'on doit à ceux qui ne vivent plus sur la Terre. Elle les appelle au nom de Dieu, parce qu'elle croit en Dieu, en sa toute-puissance, et qu'elle sait que rien ne se fait en ce monde sans sa permission. Elle ouvre sa séance par un appel général aux bons Esprits, parce que, sachant qu'il y en a de bons et de mauvais, elle tient à ce que ces derniers ne viennent pas se mêler frauduleusement aux communications qu'elle reçoit et l'induire en erreur. Qu'est-ce que cela prouve ? Que nous ne sommes pas des athées ; mais cela n'implique nullement que nous soyons des religionnaires ; c'est ce dont aurait pu se convaincre la personne qui vous a rapporté ce qui se fait parmi nous, si elle eût suivi nos travaux, et si surtout elle les eût jugés moins légèrement, et peut-être avec un esprit moins prévenu et moins passionné. Les faits protestent donc d'eux-mêmes contre la qualification de nouvelle secte que vous donnez à la Société, faute sans doute de la mieux connaître.

Vous terminez votre article en appelant l'attention des catholiques sur le mal que le spiritisme peut faire aux âmes. Si les conséquences du spiritisme étaient la négation de dieu, de l'âme, de son individualité après la mort, du libre arbitre de l'homme, des peines et des récompenses futures, ce serait une doctrine profondément immorale ; loin de là, il prouve, non par le raisonnement, mais par les faits, ces bases fondamentales de la religion dont le plus dangereux ennemi est le matérialisme. Il fait plus : par ses conséquences il apprend à supporter avec résignation les misères de cette vie ; il calme le désespoir ; il apprend aux hommes à s'aimer comme des frères selon les divins préceptes de Jésus. Si vous saviez comme moi combien il a ramené d'incrédules endurcis, combien il a arraché de victimes au suicide par la perspective du sort réservé à ceux qui abrègent leur vie contrairement à la volonté de Dieu ; combien il a calmé de haines et rapproché d'ennemis ! Est-ce là ce que vous appelez faire du mal aux âmes ? Non, vous ne pouvez penser ainsi, et j'aime à croire que si vous le connaissiez mieux, vous le jugeriez tout autrement. La religion, direz-vous, peut faire tout cela. Loin de moi de le contester ; mais croyez-vous qu'il eût été plus heureux pour ceux qu'elle a trouvés rebelles, d'être restés dans une incrédulité absolue ? Si le spiritisme en a triomphé, s'il leur a rendu clair ce qui était obscur, évident ce qui était douteux, où est le mal ? Pour moi, je dis qu'au lieu de perdre des âmes il en a sauvé.

Agréez, etc.

ALLAN KARDEC.

* * * *
* * *
* *
*

Le muscle craqueur - Extrait de la Revue Spirite de juin 1859

Les adversaires du spiritisme viennent de faire une découverte qui doit bien contrarier les Esprits frappeurs ; c'est pour eux un coup de massue, dont ils auront bien de la peine à se relever. Que doivent penser, en effet, ces pauvres Esprits de la terrible botte que vient de leur porter M. Schiff, et puis M. Jobert (de Lamballe), et puis M. Velpeau ? Il me semble les voir tout penauds, tenir à peu près ce langage : " Eh bien ! mon cher, nous sommes dans de beaux draps ! nous voilà enfoncés ; nous avions compté sans l'anatomie qui a découvert nos ficelles. Décidément, il n'y a pas moyen de vivre dans un pays où il y a des gens qui voient si clair. " - Allons, messieurs les badauds, qui avez cru bonnement à tous ces contes de bonne femme ; imposteurs qui avez voulu nous faire accroire qu'il peut exister des êtres que nous ne voyons pas. Ignorants qui croyez que quelque chose peut échapper au scalpel, même votre âme ; et vous tous, écrivains spirites ou spiritualistes, plus ou moins spirituels, inclinez-vous et reconnaissez que vous étiez tous des dupes, des charlatans, voire même des fripons ou des imbéciles : ces messieurs vous laissent le choix, car voici la lumière, la vérité pure.

" Académie des sciences (Séance du 18 avril 1859.) - DE LA CONTRACTION RYTHMIQUE MUSCULAIRE INVOLONTAIRE. - M. JOBERT (de Lamballe) communique un fait curieux de contractions involontaires rythmiques du court péronier latéral droit, qui confirme l'opinion de M. Schiff relativement au phénomène occulte des esprits frappeurs.

Mademoiselle X..., âgée de quatorze ans, forte, bien constituée, est affectée depuis six ans de mouvements involontaires réguliers du muscle court péronier latéral droit et de battements qui se font entendre derrière la malléole externe droite, offrant la régularité du pouls. Ils se sont déclarés pour la première fois à la jambe droite, pendant la nuit, en même temps qu'une douleur assez vive. Depuis peu de temps le court péronier latéral gauche est atteint d'une affection de même nature, mais de moindre intensité.

L'effet de ces battements est de provoquer de la douleur, de produire des hésitations dans la marche et même de déterminer des chutes. La jeune malade nous déclare que l'extension du pied et la compression exercée sur certains points du pied et de la jambe suffisent pour les arrêter, mais qu'elle continue alors à éprouver de la douleur et de la fatigue dans le membre.

Lorsque cette intéressante personne se présenta à nous, voici dans quel état nous la trouvâmes : Au niveau de la malléole externe droite, il était facile de constater, vers le bord supérieur de cette saillie osseuse, un battement régulier, accompagné d'une saillie passagère et d'un soulèvement des parties molles de cette région, lesquels étaient suivis d'un bruit sec succédant à chaque contraction musculaire. Ce bruit se faisait entendre dans le lit, hors du lit et à une distance assez considérable du lieu où la jeune personne reposait. Remarquable par sa régularité et son éclat, ce bruit l'accompagnait partout. En appliquant l'oreille sur la jambe, le pied ou sur la malléole, on distinguait un choc incommode qui gagnait toute la largeur du trajet parcouru par le muscle, absolument comme un coup qui est transmis d'une extrémité d'une poutre à l'autre. Le bruit ressemblait quelquefois à un frottement, à un grattement, et cela lorsque les contractions offraient moins d'intensité. Ces mêmes phénomènes se sont toujours reproduits, que la malade fût debout, assise ou couchée, quelle que fût l'heure du jour ou de la nuit où nous l'ayons examinée.

Si nous étudions le mécanisme des battements produits, et si, pour plus de clarté, nous décomposons chaque battement en deux temps, nous verrons :

Que, dans le premier temps, le tendon du court péronier latéral se déplace en sortant de la gouttière, et nécessairement en soulevant le long péronier latéral et la peau ;

Que, dans le deuxième temps, le phénomène de contraction étant accompli, son tendon se relâche, se replace dans la gouttière, et produit, en frappant contre celui-ci, le bruit sec et sonore dont nous avons parlé.

Il se renouvelait, pour ainsi dire, à chaque seconde, et chaque fois le petit orteil éprouvait une secousse et la peau qui recouvre le cinquième métatarsien était soulevée par le tendon. Il cessait lorsque le pied était fortement étendu. Il cessait encore lorsqu'une pression était exercée sur le muscle ou la gaine des péroniers.

Dans ces dernières années, les journaux français et étrangers, ont beaucoup parlé de bruits semblables à des coups de marteau, tantôt se succédant régulièrement, tantôt affectant un rythme particulier, qui se produisaient autour de certaines personnes couchées dans leur lit.

Les charlatans se sont emparés de ces phénomènes singuliers, dont la réalité est d'ailleurs attestée par des témoins dignes de foi. Ils on essayé de les rapporter à l'intervention d'une cause surnaturelle, et s'en sont servis pour exploiter la crédulité publique.

L'observation de mademoiselle X... montre comment, sous l'influence de la contraction musculaire, les tendons déplacés peuvent, au moment où ils retombent dans leurs gouttières osseuses, produire des battements qui, pour certaines personnes, annoncent la présence d'esprits frappeurs.

En s'exerçant, tout homme peut acquérir la faculté de produire à volonté de semblables déplacements des tendons et battements secs qui sont entendus à distance.

Repoussant toute idée d'intervention surnaturelle et remarquant que ces battements et ces bruit étranges se passaient toujours au pied du lit des individus agités par les esprits, M. Schiff s'est demandé si le siège de ces bruits n'était pas en eux plutôt que hors d'eux. Ses connaissances anatomiques lui ont donné à penser qu'il pouvait bien être à la jambe, dans la région péronière, où se trouvent placés une surface osseuse, des tendons et une coulisse commune.

Cette manière de voir étant bien arrêtée dans son esprit, il a fait des expériences et des essais sur lui-même, qui ne lui ont pas permis de douter que le bruit n'eût son siège derrière la malléole externe et dans la coulisse des tendons des péroniers.

Bientôt M. Schiff a été à même d'exécuter des bruits volontaires, réguliers, harmonieux, et a pu devant un grand nombre de personnes (une cinquantaine d'auditeurs), imiter les prodiges des esprits frappeurs avec ou sans chaussure, debout ou couché.

M. Schiff établit que tous ces bruits ont pour origine le tendon du long péronier, lorsqu'il passe dans la gouttière péronière, et il ajoute qu'ils coexistent avec un amincissement ou l'absence de la gaine commune au long et au court péronier. Quant à nous, admettant d'abord que tous ces battements sont produits par la chute d'un tendon contre la surface osseuse péronière, nous pensons cependant qu'il n'est pas besoin d'une anomalie de la gaine pour s'en rendre compte. Il suffit de la contraction du muscle, du déplacement du tendon et de son retour dans la gouttière pour que le bruit ait lieu. De plus, le court péronier seul est l'agent du bruit en question. En effet, il affecte une direction plus droite que le long péronier, qui subit plusieurs déviations dans son trajet ; il est profondément situé dans la gouttière ; il recouvre tout à fait la gouttière osseuse, d'où il est naturel de conclure que le bruit est produit par le choc de ce tendon sur les parties solides de la gouttière ; il présente des fibres musculaires jusqu'à l'entrée du tendon dans la gouttière commune, tandis que c'est tout le contraire pour le long péronier.

Le bruit est variable dans son intensité, et l'on peut en effet y distinguer diverses nuances. C'est ainsi que, depuis le bruit éclatant et qui se distingue au loin, on retrouve des variétés de bruit, de frottement, de scie, etc.

Nous avons successivement, par la méthode sous-cutanée, incisé en travers le corps du court péronier latéral droit et le corps du même muscle du côté gauche chez notre malade, et nous avons maintenu les membres dans l'immobilité à l'aide d'un appareil. La réunion s'est faite et les fonctions des deux membres ont été recouvrées sans aucune trace de cette singulière et RARE affection.


M. VELPEAU.

Les bruits dont M. Jobert vient de traiter dans son intéressante notice me semblent se rattacher à une question assez vaste. On observe, en effet, de ces bruits dans une foule de régions. La hanche, l'épaule, le côté interne du pied en deviennent assez souvent le siège. J'ai vu, entre autres, une dame qui, a l'aide de certains mouvements de rotation de la cuisse, produisait ainsi une sorte de musique assez manifeste pour être entendue d'un côté à l'autre du salon. Le tendon de la longue portion du biceps brachial en engendre facilement en sortant de sa coulisse, quand les brides fibreuses qui le retiennent naturellement viennent à se relâcher ou à se rompre. Il en est de même du jambier postérieur ou du fléchisseur du gros orteil, derrière la malléole interne. De tels bruits s'expliquent, ainsi que MM. Schiff et Jobert l'ont bien compris, par le frottement ou les soubresauts des tendons dans les rainures ou contre des bords à surfaces synoviales. Ils sont, par conséquent, possibles dans une infinité de régions ou au voisinage d'une foule d'organes. Tantôt clairs ou éclatants, tantôt sourds ou obscurs, parfois humides et d'autres fois secs, ils varient, d'ailleurs, extrêmement d'intensité.

Espérons que l'exemple donné à ce sujet par MM. Schiff et Jobert portera les physiologistes à s'occuper sérieusement de ces divers bruits, et qu'ils donneront un jour l'explication rationnelle de phénomènes incompris ou attribués jusqu'ici à des causes occultes et surnaturelles.

M. JULES CLOQUET, à l'appui des observations de M. Velpeau sur les bruits anormaux que les tendons peuvent produire dans diverses régions du corps, cite l'exemple d'une jeune fille de seize à dix-huit ans qui lui fui présentée à l'hôpital Saint-Louis, à une époque où MM. Velpeau et Jobert étaient attachés à ce même établissement. Le père de cette jeune fille, qui s'intitulait père d'un phénomène, espèce de saltimbanque, comptait tirer profit de son enfant pour la livrer à une exhibition publique ; il annonça que sa fille avait dans le ventre un mouvement de pendule. Cette fille était parfaitement conformée. Par un léger mouvement de rotation dans la région lombaire de la colonne vertébrale, elle produisait des craquements très forts, plus ou moins réguliers, suivant le rythme des légers mouvements qu'elle imprimait à la partie inférieure de son torse. Ces bruits anormaux pouvaient s'entendre très distinctement à plus de vingt-cinq pieds de distance, et ressemblaient au bruit d'un vieux tournebroche ; ils étaient suspendus à la volonté de la jeune fille, et paraissaient avoir leur siège dans les muscles de la région lombo-dorsale de la colonne vertébrale. "


Cet article, tiré de l'Abeille médicale, et que nous avons cru devoir transcrire dans son intégrité pour l'édification de nos lecteurs, et afin qu'on ne nous accusât pas d'avoir voulu esquiver quelques arguments, a été reproduit avec des variantes, par différents journaux, avec accompagnement des épithètes obligées. Nous n'avons pas l'habitude de relever les grossièretés : nous les laissons pour compte, notre vulgaire bon sens nous disant qu'on ne prouve rien par des sottises et des injures, quelque savant qu'on soit. Si l'article en question se fût borné à ces banalités, qui ne sont pas toujours marquées au coin de l'urbanité et du savoir vivre, nous ne l'aurions pas relevé ; mais il traite la question au point de vue scientifique ; il nous accable par des démonstrations avec lesquelles il prétend nous pulvériser ; voyons donc si, décidément, nous sommes morts de par l'arrêt de l'Académie des sciences, ou bien, si nous avons quelque chance de vivre comme ce pauvre fou de Fulton dont le système fut déclaré, par l'Institut, un rêve creux, impraticable, ce qui a tout simplement privé la France de l'initiative de la marine à vapeur ; et qui sait les conséquences que cette puissance, entre les mains de Napoléon I°, eût pu avoir sur les événements ultérieurs !

Nous ne ferons qu'une très courte remarque au sujet de la qualification de charlatan donnée aux partisans des idées nouvelles ; elle nous semble quelque peu hasardée, quand elle s'applique à des millions d'individus qui n'en tirent aucun profit, et quand elle atteint les sommets les plus élevés des régions sociales. On oublie que le spiritisme a fait, en quelques années, des progrès incroyables dans toutes les parties du monde ; qu'il se propage, non parmi les ignorants, mais dans les classes éclairées ; qu'il compte dans ses rangs un très grand nombre de médecins, des magistrats, des ecclésiastiques, des artistes, des hommes de lettres, de hauts fonctionnaires : gens auxquels on accorde généralement quelques lumières et un peu de bon sens. Or, les confondre dans le même anathème, et les envoyer sans façon aux Petites-Maisons, c'est agir par trop cavalièrement.

Mais direz-vous, ces gens-là sont de bonne foi ; ils sont dupes d'une illusion ; nous ne nions pas l'effet, nous ne contestons que la cause que vous lui attribuez, la science vient de découvrir la véritable cause, elle la fait connaître, et par cela même, fait crouler tout cet échafaudage mystique d'un monde invisible qui peut séduire des imaginations exaltées, mais loyales.

Nous ne nous piquons pas d'être savant, et encore moins oserions-nous nous placer au niveau de nos honorables adversaires ; nous dirons seulement que nos études personnelles en anatomie, et les sciences physiques et naturelles que nous avons eu l'honneur de professer, nous permettent de comprendre leur théorie et que nous ne sommes nullement étourdi par cette avalanche de mots techniques ; les phénomènes dont ils parlent nous sont parfaitement connus. Dans nos observations sur les effets attribués à des êtres invisibles, nous n'avons eu garde de négliger une cause aussi patente de méprise. Quand un fait se présente, nous ne nous contentons pas d'une seule observation ; nous voulons le voir de tous les côtés, sous toutes ses faces, et avant d'accepter une théorie, nous examinons si elle rend compte de toutes les circonstances, si aucun fait inconnu ne vient la contredire, en un mot si elle résout toutes les questions : la vérité est à ce prix. Vous admettrez bien, messieurs, que cette manière de procéder est assez logique. Eh bien ! malgré tout le respect que commande votre savoir, il se présente quelques difficultés dans l'application de votre système à ce qu'on appelle les Esprits frappeurs. La première c'est qu'il est au moins singulier que cette faculté, jusqu'à présent exceptionnelle et regardée comme un cas pathologique, que M. Jobert (de Lamballe) qualifie de rare et singulière affection, soit devenue tout à coup si commune. M. de Lamballe dit, il est vrai, que tout homme peul l'acquérir par l'exercice ; mais comme il dit aussi qu'elle est accompagnée de douleur et de fatigue, ce qui est assez naturel, on conviendra qu'il faut avoir une bien robuste envie de mystifier pour faire craquer son muscle pendant deux ou trois heures de suite quand cela ne rapporte rien, et pour le seul plaisir d'amuser une société.

Mais parlons sérieusement ; ceci est plus grave, car c'est de la science. Ces messieurs qui ont découvert cette merveilleuse propriété du long péronier, ne se doutent pas de tout ce que peut faire ce muscle ; or voilà un beau problème à résoudre. Les tendons déplacés ne frappent pas seulement dans leurs gouttières osseuses ; par un effet vraiment bizarre, ils vont frapper contre les portes, les murailles, les plafonds, et cela à volonté, dans tel endroit désigné. Mais voici qui est plus fort, et voyez combien la science était loin de se douter de toutes les vertus de ce muscle craqueur : il a le pouvoir de soulever une table sans la toucher, de la faire frapper des pieds, se promener dans une chambre, se maintenir dans l'espace sans point d'appui ; de l'ouvrir et de la fermer, et jugez de sa force ! de la faire briser en retombant. Vous croyez qu'il s'agit d'une table fragile et légère comme une plume, et qu'on enlève en soufflant dessus ? Détrompez-vous, il s'agit de tables lourdes et massives, pesant cinquante à soixante kilos, qui obéissent à de jeunes filles, à des enfants. Mais dira M. Schiff, je n'ai jamais vu ces prodiges. Cela est facile à concevoir, il n'a voulu voir que des jambes.

M. Schiff a-t-il apporté dans ses observations l'indépendance d'idées nécessaire ? Etait-il dégagé de toute prévention ? Il est permis d'en douter ; ce n'est pas nous qui le disons, c'est M. Jobert. Selon lui, M. Schiff s'est demandé, en parlant des médiums, si le siège de ces bruits n'était pas plutôt en eux que hors d'eux ; ses connaissances anatomiques lui ont donné à penser qu'il pouvait bien être dans la jambe. Cette manière de voir étant bien arrêtée dans son esprit, etc. Ainsi, de l'aveu de M. Jobert, M. Schiff a pris pour point de départ, non les faits, mais sa propre idée, son idée préconçue bien arrêtée ; de là des recherches dans un sens exclusif, et par conséquent une théorie exclusive qui explique parfaitement le fait qu'il a vu, mais non ceux qu'il n'a pas vus. - Et pourquoi n'a-t-il pas vu ? - Parce que, dans sa pensée, il n'y avait qu'un point de départ vrai, et une explication vraie ; partant de là, tout le reste devait être faux et ne méritait pas examen ; il en est résulté que, dans son ardeur à pourfendre les médiums, il a frappé à côté.

Vous croyez, Messieurs, connaître toutes les vertus du long péronier, parce que vous l'avez surpris jouant de la guitare dans sa coulisse ? Ah ! bien oui ! voilà bien autre chose à enregistrer dans les annales anatomiques. Vous avez cru que le cerveau était le siège de la pensée ; erreur ! on peut penser par la cheville. Les coups frappés donnent des preuves d'intelligence, donc si ces coups viennent exclusivement du péronier, que ce soit le long, selon M. Schiff, ou le court, selon M. Jobert (il faudrait pourtant bien s'entendre à cet égard) : c'est que le péronier est intelligent. - Cela n'a rien d'étonnant ; le médium faisant craquer son muscle à volonté exécutera ce que vous voudrez : il imitera la scie, le marteau, battra le rappel, le rythme d'un air demandé. - Soit ; mais quand le bruit répond à une chose que le médium ne sait pas du tout, qu'il ne peut savoir ; quand il vous dit de ces petits secrets que vous seul savez, de ces secrets qu'on voudrait cacher à son bonnet de nuit, il faut bien convenir que la pensée vient d'autre part que de son cerveau. D'où vient-elle ? Eh parbleu ! du long péronier. Ce n'est pas tout, il est poète aussi, ce long péronier, car il peut composer des vers charmants, quoique le médium n'ait jamais su en faire de sa vie ; il est polyglotte, car il dicte des choses vraiment fort sensées dans des langues dont le médium ne sait pas le premier mot ; il est musicien... nous le savons, M. Schiff a fait exécuter au sien des sons harmonieux, avec ou sans chaussure, devant cinquante personnes. - Oui ; mais il compose. Vous, Monsieur Dorgeval, qui nous avez donné dernièrement une charmante sonate, vous croyez bonnement que c'est l'Esprit de Mozart qui vous l'a dictée ? Détrompez-vous, c'est votre long péronier qui jouait du piano. En vérité, messieurs les médiums, vous ne vous doutiez pas avoir tant d'esprit dans votre talon. Honneur donc à ceux qui ont fait cette découverte ; que leurs noms soient inscrits en grosses lettres pour l'édification de la postérité et l'honneur de leur mémoire !

Vous plaisantez d'une chose sérieuse, dira-t-on ; mais des plaisanteries ne sont pas des raisons. Non, pas plus que les sottises et les grossièretés. Confessant notre ignorance auprès de ces messieurs, nous acceptons leur savante démonstration et la prenons très sérieusement. Nous avions cru que certains phénomènes étaient produits par des êtres invisibles qui se sont donné le nom d'Esprits : nous nous sommes trompé, soit ; comme nous cherchons la vérité, nous n'aurons pas la sotte prétention de nous entêter sur une idée qui nous est démontrée fausse d'une manière aussi péremptoire. Du moment que M. Jobert, par une incision sous-cutanée, a coupé court aux Esprits, c'est qu'il n'y a plus d'Esprits. Puisqu'il dit que tous les bruits viennent du péronier, il faut bien le croire et en admettre toutes les conséquences ; ainsi, quand les coups se font entendre dans la muraille ou au plafond, c'est que le péronier y correspond, ou que la muraille a un péronier ; quand ces coups dictent des vers par une table qui frappe du pied, de deux choses l'une, c'est la table qui est poète ou bien le péronier ; ceci nous paraît logique. Nous allons même plus loin : un officier de notre connaissance reçut un jour en faisant des expériences spirites, et par une main invisible, une paire de soufflets tellement bien appliqués qu'il s'en ressentit encore deux heures après. Or, le moyen de provoquer une réparation ? Si pareille chose arrivait à M. Jobert, il ne s'en inquiéterait pas, parce qu'il dirait qu'il a été cinglé par le long péronier.

Voici ce que nous lisons à ce sujet dans le journal la Mode du 1° mai 1859.

" L'Académie de médecine continue la croisade des esprits positifs contre le merveilleux en tout genre. Après avoir, à bon droit, mais peut-être un peu maladroitement foudroyé le fameux docteur noir, par l'organe de M. Velpeau, voici maintenant qu'elle vient d'entendre M. Jobert (de Lamballe) déclarer, en plein Institut, le secret de ce qu'il appelle la grande comédie des Esprits frappeurs, qui s'est jouée avec tant de succès dans les deux hémisphères.

" Suivant le célèbre chirurgien, tous les toc toc, tous les pan pan, faisant tressaillir de si bonne foi les gens qui les entendaient ; ces bruits singuliers, ces coups secs frappés successivement et comme en cadence, précurseurs de l'arrivée, signes certains de la présence des habitants de l'autre monde, sont tout simplement le résultat d'un mouvement imprimé à un muscle, à un nerf, à un tendon ! Il s'agit d'une bizarrerie de la nature, habilement exploitée, pour produire, sans qu'il soit possible de le remarquer, cette musique mystérieuse qui a charmé, séduit tant de gens.

" Le siège de l'orchestre est placé dans la jambe. C'est le tendon du péronier, jouant dans une coulisse, qui fait tous ces bruits que l'on entend sous les tables, ou à distance, à la volonté du prestidigitateur.

" Je doute très fort, pour ma part, que M. Jobert ait mis la main, comme il le croit, sur le secret de ce qu'il appelle " une comédie, " et les articles qui ont été publiés dans ce journal même, par notre confrère M. Escande, sur les mystères du monde occulte, me paraissent poser la question avec une largeur bien autrement sincère et philosophique, dans le bon sens du mot.

" Mais, si les charlatans de toutes couleurs sont agaçants avec leurs coups de grosse caisse, il faut convenir que messieurs les savants ne le sont pas moins quelquefois avec l'éteignoir qu'ils prétendent poser sur tout ce qui luit en dehors des flambeaux officiels.

" Ils ne comprennent pas que la soif du merveilleux, qui dévore notre époque, a justement pour causes les excès de positivisme où certains esprits ont voulu l'entraîner. L'âme humaine a besoin de croire, d'admirer et d'avoir vue sur l'infini. On a travaillé à lui boucher les fenêtres que lui ouvrait le catholicisme, elle regarde par n'importe quelles lucarnes. "


HENRY DE PENE.

" Notre excellent ami, M. Henry de Pène, nous permettra une observation. Nous ignorons quand M. Jobert a fait cette immortelle découverte, et quel est le jour mémorable où il l'a communiquée à l'Institut. Ce que nous savons, c'est que cette originale explication avait déjà été donnée par d'autres. En 1854, M. le docteur Rayer, un praticien célèbre, qui ne fit pas ce jour là preuve d'une rare perspicacité, présenta lui aussi, à l'Institut, un Allemand dont le savoir-faire donnait, selon lui, la clé de tous les knokings et rappings des deux mondes. Il s'agissait, comme aujourd'hui, du déplacement de l'un des tendons musculaires de la jambe, appelé le long péronier. La démonstration en fut donnée séance tenante, et l'Académie exprima sa reconnaissance pour cette intéressante communication. Quelques jours après, un professeur agrégé de la Faculté de médecine consigna le fait dans le Constitutionnel, et il eut le courage d'ajouter que " les savants ayant enfin prononcé, le mystère était enfin éclairci. " Ce qui n'a pas empêché le mystère de persister et de grandir, en dépit de la science qui, se refusant à l'expérimenter, se contente de l'attaquer par des explications ridicules et burlesques, comme celles dont nous venons de parler. Par respect pour M. Jobert (de Lamballe), nous nous plaisons à croire qu'on lui a prêté une expérience qui ne lui appartient nullement. Quelque journal, à bout de nouvelles, aura retrouvé dans quelque coin oublié de son portefeuille l'ancienne communication de M. Rayer, et l'aura ressuscitée, en la plaçant sous son patronage, afin de varier un peu. Mutato nomine, de te fabula narratur. C'est fâcheux, sans doute, mais cela vaut encore mieux que si ce journal avait dit vrai. "

A. ESCANDE.

* * * *
* * *
* *
*

Intervention de la Science dans le Spiritisme - Extrait de la Revue Spirite de juin 1859

L'opposition des corps savants est un des arguments qu'invoquent sans cesse les adversaires du spiritisme. Pourquoi ne se sont-ils pas emparés du phénomène des tables tournantes ? S'ils y avaient vu quelque chose de sérieux, ils n'auraient eu garde, dit-on, de négliger des faits aussi extraordinaires, et encore moins de les traiter avec dédain, tandis qu'ils sont tous contre vous. Les savants ne sont-ils pas le flambeau des nations, et leur devoir n'est-il pas de répandre la lumière ? Pourquoi voudriez-vous qu'ils l'eussent étouffée, alors qu'une si belle occasion se présentait à eux de révéler au monde une force nouvelle ? - C'est d'abord une erreur grave de dire que tous les savants sont contre nous, puisque le spiritisme se propose précisément dans la classe éclairée. Il n'y a pas de savants que dans la science officielle et dans les corps constitués. De ce que le spiritisme n'a pas encore droit de cité dans la science officielle, cela préjuge-t-il la question ? On connaît la circonspection de celle-ci à l'endroit des idées nouvelles. Si la science ne s'était jamais trompée, son opinion pourrait ici peser dans la balance ; malheureusement l'expérience prouve le contredire. N'a-t-elle pas repoussé comme des chimères une foule de découvertes qui, plus tard, ont illustré la mémoire de leurs auteurs ? Est-ce à dire que les savants sont des ignorants ? cela justifie-t-il les épithètes triviales à force de mauvais goût que certaines gens se plaisent à leur prodiguer ? Assurément non ; il n'est personne de sensé qui ne rende justice à leur savoir, tout en reconnaissant qu'ils ne sont pas infaillibles, et qu'ainsi leur jugement n'est pas en dernier ressort. Leur tort est de trancher certaines questions un peu légèrement, se fiant trop à leurs lumières, avant que le temps n'ait dit son mot, et de s'exposer ainsi à recevoir les démentis de l'expérience.

Chacun n'est bon juge que dans ce qui est de sa compétence. Si vous voulez bâtir une maison, prendrez-vous un musicien ? Si vous êtes malade, vous ferez-vous soigner par un architecte ? Si vous avez un procès, prendrez-vous l'avis d'un danseur ? Enfin, s'il s'agit d'une question de théologie, la ferez-vous résoudre par un chimiste ou un astronome ? Non, chacun son métier. Les sciences vulgaires reposent sur les propriétés de la matière qu'on peut manipuler à son gré ; les phénomènes qu'elle produit ont pour agents des forces matérielles. Ceux du spiritisme ont pour agents des intelligences qui ont leur indépendance, leur libre arbitre, et ne sont point soumises à nos caprices ; ils échappent ainsi à nos procédés anatomiques ou de laboratoire, et à nos calculs, et dès lors ne sont plus du ressort de la science proprement dite. La science s'est donc fourvoyée quand elle a voulu expérimenter les Esprits comme une pile voltaïque ; elle est partie d'une idée fixe, préconçue, à laquelle elle se cramponne et veut forcément rattacher l'idée nouvelle ; elle a échoué et cela devait être, parce qu'elle a opéré en vue d'une analogie qui n'existe pas ; puis, sans aller plus loin, elle a conclu à la négative : jugement téméraire que le temps se charge tous les jours de reformer, comme il en a réformé bien d'autres, et ceux qui l'auront prononcé en seront pour la honte de s'être inscrits trop légèrement en faux contre la puissance infinie du Créateur. Les corps savants n'ont donc point, et n'auront jamais à se prononcer dans la question ; elle n'est pas plus de leur ressort que celle de décréter si Dieu existe ; c'est donc une erreur de les en faire juge. Mais qui donc sera juge ? Les Spirites se croient-ils le droit d'imposer leurs idées ? Non, le grand juge, le juge souverain, c'est l'opinion publique ; quand cette opinion se sera formée par l'assentiment des masses et des hommes éclairés, les savants officiels l'accepteront comme individus et subiront la force des choses. Laissez passer une génération, et avec elle les préjugés de l'amour-propre qui s'entête, et vous verrez qu'il en sera du Spiritisme comme de tant d'autres vérités que l'on a combattues et qu'il serait ridicule maintenant de révoquer en doute. Aujourd'hui, ce sont les croyants qu'on traite de fous ; demain ce sera le tour de ceux qui ne croiront pas, absolument comme on traitait jadis de fous ceux qui croyaient que la terre tourne, ce qui ne l'a pas empêché de tourner.

Mais tous les savants n'ont pas jugé de même ; il en est qui ont fait le raisonnement suivant :

Il n'y a pas d'effet sans cause, et les effets les plus vulgaires peuvent mettre sur la voie des plus grands problèmes. Si Newton eût méprisé la chute d'une pomme, si Galvani eût rebuté sa servante en la traitant de folle et de visionnaire, quand elle lui parla des grenouilles qui dansaient dans le plat, peut-être en serions-nous encore à trouver l'admirable loi de la gravitation et les fécondes propriétés de la pile. Le phénomène qu'on désigne sous le nom burlesque de danse des tables, n'est pas plus ridicule que celui de la danse des grenouilles, et il renferme peut-être aussi quelques-uns de ces secrets de la nature qui font révolution dans l'humanité, quand on en a la clé. Ils se sont dit, en outre : Puisque tant de gens s'en occupent, puisque des hommes sérieux en ont fait une étude, il faut qu'il y ait quelque chose ; une illusion, une tocade si l'on veut, ne peut avoir ce caractère de généralité ; elle peut séduire un cercle, une coterie, mais elle ne fait pas le tour du monde.

Voici, notamment, ce que nous disait un savant docteur médecin, naguère incrédule, et aujourd'hui adepte fervent :

" On dit que des êtres invisibles se communiquent ; et pourquoi pas ? Avant l'invention du microscope, soupçonnait-on l'existence de ces milliards d'animalcules qui causent tant de ravages dans l'économie ? Où est l'impossibilité matérielle qu'il y ait, dans l'espace, des êtres qui échappent à nos sens ? Aurions-nous par hasard la ridicule prétention de tout savoir et de dire à Dieu qu'il ne peut pas nous en apprendre davantage ? Si ces êtres invisibles qui nous entourent sont intelligents, pourquoi ne se communiqueraient-ils pas à nous ? S'ils sont en relation avec les hommes, ils doivent jouer un rôle dans la destinée, dans les événements ; qui sait ? c'est peut-être une des puissances de la nature, une de ces forces occultes que nous ne soupçonnons pas. Quel nouvel horizon cela ouvrirait à la pensée ! quel vaste champ d'observation ! La découverte du monde des invisibles serait bien autre chose que celle des infiniment petits ; ce serait plus qu'une découverte, ce serait toute une révolution dans les idées. Quelle lumière peut en jaillir ! Que de choses mystérieuses expliquées ! Ceux qui y croient, sont tournés en ridicule ; mais qu'est-ce que cela prouve ? N'en a-t-il pas été de même de toutes les grandes découvertes ? Christophe Colomb n'a-t-il pas été rebuté, abreuvé de dégoûts, traité en insensé ? Ces idées, dit-on, sont si étranges, que la raison s'y refuse ; mais à celui qui eût dit, il y a seulement un demi-siècle, qu'en quelques minutes on correspondrait d'un bout du monde à l'autre ; qu'en quelques heures on traverserait la France ; qu'avec la fumée d'un peu d'eau bouillante, un navire marcherait vent debout ; qu'on tirerait de l'eau les moyens de s'éclairer et de se chauffer ; on lui aurait ri au nez. Qu'un homme fût venu proposer un moyen d'éclairer tout Paris à la minute, avec un seul réservoir d'une substance invisible, on l'aurait envoyé à Charenton. Est-ce donc une chose plus prodigieuse que l'espace soit peuplé d'êtres pensants qui, après avoir vécu sur la terre, ont quitté leur enveloppe matérielle ? Ne trouve-t-on pas, dans ce fait, l'explication d'une foule de croyances qui remontent à la plus haute antiquité ? N'est-ce pas la confirmation de l'existence de l'âme, de son individualité après la mort ? N'est-ce pas la preuve de la base même de la religion ? Seulement, la religion ne nous dit que vaguement ce que deviennent les âmes ; le spiritisme le définit. Que peuvent dire à cela les matérialistes et les athées ? De pareilles choses valent bien la peine d'être approfondies. "

Voilà les réflexions d'un savant ; mais d'un savant sans prétentions ; ce sont aussi celles d'une foule d'hommes éclairés ; ils ont réfléchi, étudié sérieusement et sans parti pris ; ils ont eu la modestie de ne pas dire : Je ne comprends pas, donc cela n'est pas ; leur conviction s'est formée par l'observation et le recueillement. Si ces idées eussent été des chimères, pense-t-on que tant de gens d'élite les eussent adoptées ? qu'ils aient pu être longtemps dupes d'une illusion ? Il n'y a donc point impossibilité matérielle à ce qu'il existe des êtres invisibles pour nous et peuplant l'espace, et cette considération seule devrait engager à plus de circonspection. Naguère, qui eût jamais pensé qu'une goutte d'eau limpide pût renfermer des milliers d'êtres vivants, d'une petitesse qui confond notre imagination ? Or, il était plus difficile à la raison de concevoir des êtres d'une telle ténuité, pourvus de tous nos organes et fonctionnant comme nous, que d'admettre ceux que nous nommons Esprits.

Les adversaires demandent pourquoi les Esprits, qui doivent avoir à coeur de faire des prosélytes, ne se prêtent pas mieux qu'ils ne le font aux moyens de convaincre certaines personnes dont l'opinion serait d'une grande influence. Ils ajoutent qu'on leur oppose leur manque de foi ; à cela, ils répondent avec raison qu'ils ne peuvent avoir une foi anticipée.

C'est une erreur de croire que la foi soit nécessaire, mais la bonne foi, c'est autre chose. Il y a des sceptiques qui nient jusqu'à l'évidence, et que des miracles ne pourraient convaincre. Il en est même qui seraient bien fâchés d'être forcés de croire, parce que leur amour-propre souffrirait de convenir qu'ils se sont trompés. Que répondre à des gens qui ne voient partout qu'illusion et charlatanisme ? Rien ; il faut les laisser tranquilles et dire tant qu'ils voudront qu'ils n'ont rien vu, et même qu'on n'a rien pu leur faire voir. A côté de ces sceptiques endurcis, il y a ceux qui veulent voir à leur manière ; qui, s'étant faut une opinion, veulent tout y rapporter, ils ne comprennent pas que des phénomènes ne puissent obéir à leur gré ; ils ne savent pas, ou ne veulent pas se mettre dans les conditions nécessaires. Si les Esprits ne sont pas plus empressés de les convaincre par des prodiges, c'est qu'apparemment ils tiennent peu, pour le moment, à convaincre certaines personnes dont ils ne mesurent pas l'importance comme elles le font elles-mêmes ; c'est peu flatteur, il faut en convenir, mais nous ne commandons pas à leur opinion ; les Esprits ont une manière de juger les choses qui n'est pas toujours la nôtre ; ils voient, pensent et agissent d'après d'autres éléments ; tandis que notre vue est circonscrite par la matière, bornée par le cercle étroit au milieu duquel nous nous trouvons, ils embrassent l'ensemble ; le temps qui nous paraît si long est pour eux un instant, la distance n'est qu'un pas ; certains détails, qui nous semblent d'une importance extrême, sont à leurs yeux des enfantillages, et par contre, ils jugent importantes des choses dont nous ne saisissons pas la portée. Pour les comprendre, il faut s'élever, par la pensée, au-dessus de notre horizon matériel et moral, et nous placer à leur point de vue ; ce n'est pas à eux à descendre jusqu'à nous, c'est à nous de monter jusqu'à eux, et c'est à quoi nous conduisent l'étude et l'observation. Les Esprits aiment les observateurs assidus et consciencieux ; pour eux ils multiplient les sources de lumière ; ce qui les éloigne, ce n'est pas le doute de l'ignorance, c'est la fatuité de ces prétendus observateurs qui n'observent rien, qui prétendent les mettre sur la sellette et les faire manoeuvrer comme des marionnettes. C'est surtout le sentiment d'hostilité et de dénigrement qu'ils apportent, sentiment qui est dans leur pensée, s'il n'est pas dans leurs paroles, malgré leurs protestations contraires. Pour ceux-là, les Esprits ne font rien et s'inquiètent fort peu de ce qu'ils peuvent dire ou penser, parce que leur tour viendra. C'est pourquoi nous avons dit que ce n'est pas la foi qui est nécessaire, mais la bonne foi ; or, nous demandons si nos savants adversaires sont toujours dans ces conditions. Ils veulent les phénomènes à leur commandement, et les Esprits n'obéissent pas au commandement : il faut attendre leur bon vouloir. Il ne suffit pas de dire : montrez-moi tel fait et je croirai ; il faut avoir la volonté de la persévérance, laisser les faits se produire spontanément sans prétendre les forcer ou les diriger ; celui que vous désirez sera précisément celui que vous n'obtiendrez pas, mais il s'en présentera d'autres, et celui que vous voulez viendra peut-être au moment où vous vous y attendrez le moins. Aux yeux de l'observateur attentif et assidu, il en surgit des masses qui se corroborent les uns les autres ; mais celui qui croit qu'il suffit de tourner une manivelle pour faire marcher la machine se trompe étrangement. Que fait le naturaliste qui veut étudier les moeurs d'un animal ? Lui commande-t-il de faire telle ou telle chose pour avoir tout loisir de l'observer à son gré et à sa convenance ? Non ; car il sait bien qu'il ne lui obéira pas ; il épie les manifestations spontanées de son instinct ; il les attend et les saisit au passage. Le simple bon sens nous montre qu'à plus forte raison il doit en être de même des Esprits, qui sont des intelligences bien autrement indépendantes que celles des animaux.

* * * *
* * *
* *
*



Copyright 2007 - Site Le Sanctuaire.net - version 4.0 - sylvain.administrateur@lesanctuaire.net